Doki Doki Literature Club, Lecture et waifus.

Avant toute chose, je dois vous prévenir en vous avouant que Doki Doki Literature Club est sans doute une des plus belles expériences vidéo-ludiques qu’il m’ait été permis de toucher durant ces dernières années. Je doute retrouver de si tôt un jeu qui m’ait autant retourné le cerveau.

Sans tomber dans la divulgation abusive, je me permets simplement de vous rappeler que se fier au paraître est rarement la bonne solution, et peut vous déstabiliser lorsque vous considérez certains éléments comme acquis. Je vous indiquerai clairement dans le texte le moment où je risquerais de vous dévoiler des passages fatidiques de l’intrigue, vous aurez ainsi la totale liberté d’arrêter votre lecture pour vous adonner à ce petit bijou qu’est Doki Doki Literature Club, ou bien me laisser vous conter cette aventure.

De plus, je préfère vous avertir et admettre que le jeu ne conviendra pas à des personnes sensibles, et que certains sujets abordés peuvent être très dérangeants selon vos expériences passées. Le jeu est classé sous la catégorie « Horreur psychologique » sur Steam, donc soyez conscients que ce jeu ne sera pas qu’une aventure toute mignonne.

Il est possible que vous ayez entendu parler de Doki Doki Literature Club lors de sa sortie, le 22 septembre 2017. Doki Doki Literature Club, qui sera raccourci ici en DDLC, est un visual novel vous plaçant au centre de l’intrigue. Un visual novel, traduisible en roman visuel, mais dont la signification correcte serait roman vidéoludique, est une histoire qui bénéficie d’un apport visuel.

Il existe pléthore de visual novels, dont le thème récurrent est la séduction. DDLC n’y faisant pas exception, le personnage principal rencontrera quatre jeunes femmes avec lesquelles il pourra choisir ou non de passer plus de temps. Attention cependant, a contrario du florilège de jeux érotiques, DDLC s’inscrit plutôt dans une optique romantique.

Je comprends votre déception, mais vous ne trouverez aucune peau dénudée (ou presque) dans ce jeu. Mais cela n’en fait pas pour autant une expérience tous publics, et vous allez doucement comprendre pourquoi.

Pour rapidement revenir sur la scène d’exposition, vous êtes un lycéen peu sociable. Chacune de vos journées consiste à attendre la fin des cours pour foncer chez vous prolonger votre parfaite existence de futur « neet », plus intéressé par les mangas que par les études. La première scène est votre départ pour aller en cours le matin, pendant lequel vous attendez votre voisine Sayori, amie d’enfance, qui fréquente le même lycée. Vous la considérez comme une jeune fille étourdie, mais qui s’inquiète pour vous et votre avenir.

Elle vous retrouve à la fin des cours, pour vous demander d’aller jeter un coup d’œil à son club de littérature, où elle tient le rôle de vice-présidente. En promettant à ses membres de vous ramener à tout prix, vous reconnaissez vous être fait piéger, et acceptez d’aller y faire un tour.

Vous faites alors la connaissance des trois autres membres, Natsuki, Yuri et Monika. Votre premier constat est qu’elles sont incroyablement mignonnes (vous ne perdez pas le nord).

Natsuki est la plus petite des filles, facilement reconnaissable grâce à ses yeux et cheveux roses, affichant un petit air suffisant dès que la situation l’avantage.

Yuri, dont la couleur phare est le violet, semble plusréservée, plus distinguée, d’après son langage et ses habitudes.

Monika est quant à elle la présidente du club de littérature. Même si vous avez eu l’opportunité de la côtoyer l’année précédente car dans la même classe que vous, elle joue pourtant dans une autre catégorie. Belle, intelligente et socialement bien placée, d’où sa place au conseil d’administration, vous apprenez cependant qu’elle a choisi d’abandonner sa carrière politique pour ouvrir son propre club de littérature.

Malgré votre méconnaissance de la littérature qui se limite aux mangas, les quatre filles espèrent désespérément votre adhésion, car un club ne peut exister qu’à partir de cinq membres. Maudissant une nouvelle fois Sayori et sa fourberie, vous acceptez de rejoindre le club, considérant que la littérature est « un faible prix à payer pour côtoyer quotidiennement ces jolies filles ». Si vous saviez à quel point vous étiez dans le faux…

Monika clôture ainsi votre adhésion, récompensée par les cupcakes de Natsuki et le thé de Yuri, et propose au groupe de rédiger des poèmes pour le lendemain. Aucune exigence technique toutefois sur le poème ; le but est d’apprendre à se connaître à travers la littérature. Ce sera ainsi une excellente occasion de se rapprocher de la fille qui vous plaît le plus.

L’interaction majeure que vous aurez avec les filles se joue sur les poèmes. Chaque soir, vous aurez un poème à écrire. Pour des raisons évidentes de conception du jeu, vous n’écrirez pas vraiment un poème, mais vous choisirez un ensemble de mots qui constituera le thème de votre poème. Chacun de ces mots sera associé à l’une des filles, et celle qui en totalisera le plus passera le lendemain un moment privilégié avec vous. Cependant, votre poème n’est pas le seul qui entrera en ligne de compte, car ceux écrits par les filles vous en diront long sur leur personnalité. Chaque présentation de poème durera une journée, et vous aurez l’occasion de composer trois poèmes durant la première partie du jeu.

<ALERTE SPOILER>

Voici le point de non-retour comme convenu, je considère maintenant que vous acceptez de découvrir des points-clés de l’histoire en poursuivant la lecture.

Même si les filles semblent être plutôt normales lors de votre première rencontre, vous allez rapidement vous rendre compte que chacune cache un squelette dans son placard. La première observation qui peut être faite sur les personnages féminins est que leur présence dans le jeu dépend d’un fichier situé dans votre répertoire d’installation.

Dans le dossier Personnages, se trouvent quatre fichiers, un pour chaque fille, avec l’extension .chr. Or, cette extension n’est qu’un leurre. Si l’on prend le fichier de Monika, le fichier est en réalité transformable au format PNG, qui contient un amas de pixels en noir et blanc, que vous pouvez transcrire en une chaîne de caractères en base64, finalement déchiffrable en un monologue de Monika qui laisse penser qu’elle n’est pas que simple personnage du jeu.

Le fichier de Natsuki est un JPEG, qui après quelques transformations géométriques, révèle le visage d’une femme blonde, jusque-là inconnue. Celui de Sayori est un OGG, autrement dit un fichier audio, mais j’avoue ne pas avoir trouvé la signification de celui-ci. Celui de Yuri est un fichier texte, en base64, qui une fois décodé raconte l’histoire d’une jeune fille obsédée par l’envie de tuer, qui réalisera son fantasme.

Cependant, même si ces découvertes semblent prometteuses, elles sont peu révélatrices des personnalités des jeunes filles. La conjecture majeure qui plane sur ces données est qu’elles pourraient faire partie du prochain jeu de Dan Salvato, le créateur.

Pour revenir au jeu, vous devriez rapidement réaliser que les filles ne sont pas toutes sur un pied d’égalité. Plus exactement, l’une d’entre elles est privilégiée et se démarquera par ses actions, ses paroles. Il s’agit de Monika, qui contrairement à ses consœurs, n’aura pas l’opportunité de passer du temps avec vous. Elle ira même jusqu’à vous conseiller de sauvegarder lorsque vous serez confronté à un choix difficile. Autrement dit, Monika n’est pas un personnage comme les autres, comme vous l’attesteront les poèmes qu’elle vous destine.

Pire encore, un événement dramatique va venir perturber le cours de l’histoire. Dès le troisième jour du premier acte, Sayori semblera désormais effacée et bien moins enjouée qu’à l’accoutumée. Elle vous révélera rapidement qu’elle est atteinte de dépression depuis son jeune âge, et qu’elle vous l’a toujours cachée pour ne pas vous nuire. En effet, elle place votre bonheur bien au-dessus du sien, et son objectif ultime était de vous faire partager son club de littérature et ses membres géniaux.

Suite à votre confession en tant qu’amoureux ou ami envers Sayori, elle ne supportera pas la nouvelle. Rongée entre le bonheur de vous avoir à ses côtés et son égoïsme à votre égard, vous découvrirez son corps pendu au bout d’une corde lorsque vous viendrez la chercher le jour du festival. La mise en scène est prenante. Ce qui est particulièrement marquant, c’est que vous vous êtes déjà rendu chez elle la veille.

La mise en scène est identique : la musique d’ambiance s’arrête, l’écran devient noir. Vous réfléchissez quelques temps avant de pénétrer dans sa chambre (vous êtes tout de même deux jeunes gens du même âge). Cette répétition de style diminue votre vigilance, ce qui rend la découverte du corps de Sayori pendu encore plus marquante.

Suite à cela, le jeu redémarre sans prévenir, et débute exactement comme la première fois. Enfin, pas tout à fait, puisque Sayori n’est plus. Si vous repensez aux premières scènes du jeu, c’est Sayori qui doit vous aborder pour aller en cours. Or, ici ce sera un nom incompréhensible rempli de caractères spéciaux, visuellement représentés comme des pixels morts qui vous aborderont. Le deuxième acte commence alors.

L’histoire suit ainsi le même chemin que pendant le premier acte. Seulement, il n’est pas si simple de réécrire une histoire en supprimant purement et simplement un personnage. Le jeu sera alors truffé de « bugs », volontairement insérés par Dan Salvato pour simuler le côté bancal du jeu.

Il est en un sens plus réaliste également. Certaines phrases prononcées par les personnages, facilement identifiables par leur police en gras, transmettront des messages glauques, parfois cruels. Les événements vécus durant l’acte II font alors directement écho à ceux de l’acte I, même si la normalité des filles fait désormais partie du passé. Ne vous y trompez pas, les poèmes de l’acte II n’auront aucun impact sur la fille que vous aborderez. L’élue sera nécessairement Yuri, après vous avoir dit qu’elle ne pouvait rester en votre compagnie, car cela lui donne une irrépressible envie de s’entailler les bras avec son couteau de poche. Elle mettra un terme à ses jours à l’aide de sa lame lorsque vous donnerez votre réponse après qu’elle vous ait avoué ses sentiments.

Vous passerez ensuite trois jours à côté de son cadavre, observant avec effroi la décomposition de son corps. Monika viendra finalement vous délivrer en s’excusant: « Cette partie du jeu était vraiment plantée, tu n’aurais pas dû rester ici trois jours durant ». Le jeu redémarre une nouvelle fois, vous retrouvant dans une pièce inconnue, face à la seule, à l’unique Monika.

Même si le jeu est parsemé d’indices sur la véritable identité de Monika, les derniers doutes qui subsistaient se sont désormais évaporés. Monika n’est pas un personnage comme les autres. Au contraire, elle possède une volonté propre, contrairement à ses homologues féminines qui ne sont qu’intelligences artificielles, des bouts de code sans libre arbitre. Ses décisions sont justifiées par un constat simple (attention accrochez-vous) : elle est amoureuse de vous. En tant que yandere avérée, elle aura supprimé toutes les embûches qui séparaient vos deux existences pour que vous puissiez enfin vous retrouver en tête-à-tête, pour l’éternité.

Les écritures en gras observées pendant l’acte II étaient notamment des paroles pensées, non pas par le personnage impliqué, mais par Monika. Lorsqu’elle a réalisé que vous vous rapprochiez plus de ses comparses que d’elle, Monika a cherché à vous dégoûter de les fréquenter. Elle a poussé Sayori au suicide (vous remarquerez d’ailleurs que Sayori mentionnera plusieurs fois Monika durant ses passages les plus sombres), rendu Yuri complètement hystérique et fanatique d’auto-mutilation, et transformé Natsuki en esclave obéissante en lui interdisant de se nourrir en dehors du club de littérature.

Suite à ces actes, Monika espère enfin vivre une idylle tant attendue avec vous, considérant que ce qu’elle avait entrepris comme un mal nécessaire à votre union. Vous êtes visiblement condamné pour l’éternité à échanger vos regards avec Monika, à parler de tout et de rien. Et bien pas tout à fait ; si vous vous rappelez des fichiers du jeu, chacune des filles en possédait un, jusqu’à ce que Monika supprime ses concurrentes afin de vous garder pour elle toute seule. Le choix est alors vôtre : vous pouvez passer l’éternité à contempler Monika et l’infini de ses yeux verts, ou bien supprimer son fichier personnage.

Trahie, elle s’emportera contre vous, ne comprenant pas que vous ayez pu gâcher votre histoire si durement acquise. Mais Monika n’est finalement pas le monstre qu’elle semble vouloir montrer. Prise de remords après avoir supprimé ses amies, elle remettra en cause ses actions, replaçant dans le dossier personnages ses amies qu’elle avait précieusement conservé, puis se supprimant pour laisser sa place à Sayori, et redémarrant le jeu une ultime fois.

La fin diffère un peu selon comment vous avez organisé votre aventure. Si vous avez passé suffisamment de temps avec toutes les filles, comprenez ici rejouer toutes les scènes de l’acte I avec Natsuki, Yuri et Sayori, puis passé un peu de temps avec Monika avant de la supprimer, alors ce sera Sayori qui vous accueillera au redémarrage du jeu.

Elle vous expliquera qu’elle est extrêmement fière de votre attitude, d’avoir passé du temps avec chacune des filles sans en négliger aucune. Le jeu se clôturera alors sur un commentaire touchant du créateur Dan Salvato, qui explique sa démarche de vouloir proposer un jeu sortant des sentiers battus. Il vous félicitera aussi d’avoir atteint cette fin spéciale, qui est en fait la meilleure fin possible.

<FIN DU SPOIL>

Comme annoncé au début, DDLC ne m’a pas laissé de marbre. Bien au contraire, c’est le parfait exemple pour affirmer qu’il ne faut pas juger un livre à sa couverture. Le jeu est brillamment pensé, il est épuré sans tomber dans la facilité. À un rythme de lecture correct, il peut être fini en une demi-douzaine d’heures, ce qui est décent pour un visual novel. Pour ma part, la durée semble parfaitement adaptée. Le jeu pourra vous occuper une bonne soirée, ce qui est à la fois suffisant pour vous attacher à l’univers et aux personnages, mais aussi assez court pour ne pas devoir passer des heures et des heures, simplement pour fixer le décor de l’intrigue.

Une autre force du jeu réside sur les thèmes qu’il aborde. J’avoue ne pas du tout connaître l’histoire de Dan Salvato, mais la dépression de Sayori, la manière dont le personnage principal (vous) la ressent et l’exprime, me laisse penser qu’il a peut-être vécu une expérience similaire dans sa vie. Pire encore, ces passages douloureux ont mis en exergue mon ignorance envers cette maladie, et que je serais bien incapable de correctement gérer cette pathologie si j’apprenais demain qu’un proche en souffrait.

Le dernier aspect, mais pas des moindres, concerne… la littérature. À priori, on peut se dire que les poèmes que vous écrivez ne sont qu’un moyen de fréquenter la fille que vous aimez, c’est en tout cas une des interprétations possibles des poèmes. Mais je trouve que ce serait passer à côté de la symbolique du jeu. Le deuxième poème que vous confie Natsuki, Amy likes spiders (Amy aime les araignées) est cruellement touchant car affligeant de réalisme malgré son écriture simple.

In fine, malgré une apparence mignonne et des personnages aux apparences simplistes, Doki Doki Literature Club réussit l’honorable performance d’aborder des thèmes graves sans compromis. Par des procédés astucieux, le joueur est sans cesse déstabilisé, ce qui force une remise en question incessante sur sa position dans l’intrigue. Même si je conçois que la lecture n’est pas forcément un plaisir pour tous et que vous ferez peut-être l’impasse sur le jeu (bien qu’en arrivant jusqu’à ce point dans l’article, je pense que vous pourriez survivre à Doki Doki hi hi), je vous suis reconnaissant d’avoir lu mon témoignage après avoir découvert l’une des plus belles œuvres d’art qu’il m’ait été permis d’étudier, Doki Doki Literature Club.


Cet article est une republication d’un article paru dans l’édition reliée n° 25 de Mag’zine, que vous pouvez toujours aller le lire ici.



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J'suis roumain, donc si tu pouvais me laisser une petite pièce plutôt qu'un commentaire à cet article, je t'en serais très reconnaissant.

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