Saya no Uta

Allez les copains, on remballe les pâquerettes et les arcs-en-ciel, aujourd’hui on s’attaque à du lourd du genre tronçonneuse et chairs putréfiées : Saya no Uta.

Littéralement le chant de Saya, ce petit bijou est un visual novel signé Nitroplus. Si vous vous intéressez un minimum à ce genre de jeux vidéo, vous ne serez pas sans savoir que ce studio est plutôt connu, que ce soit pour ses licences moe-fric-fric ou ses eroges aux excellents scénarios.

N’ayez crainte, Saya no Uta fait bien partie des meilleurs, même si pour cela, il vous faudra avoir les tripes bien accrochées.

En résumé :

Suite à un accident qui a coûté la vie de ses parents, Fuminori se retrouve accablé d’un étrange agnosie : tous ses sens sont inversés. Le monde lui paraît ainsi déformé : un animal éventré sur le bord de la route pourrait lui paraître être un joli parterre de fleurs, alors que la plus jolie des femmes ressemblerait à un monstre difforme. Cela ne s’apparente pas seulement à la vue, mais aussi au goût, à l’odorat et à l’ouïe. Un véritable cauchemar dans lequel il ne survit que grâce à une chose : Saya, qui à ses yeux ressemble à une jeune fille adorable dans cet univers de chair putride nauséabonde.

Dans le fond :

Je vois déjà les plus tatillons d’entre vous persifler : « on dit une personne, pas une chose, surtout pour une fille toute mignonne », cœur, cœur et petits oiseaux. Sauf qu’à votre avis, si Fuminori voit des êtres humains comme des monstres, qu’est-ce que peut bien être Saya qui, elle, ressemble à une humaine ?…

Eh oui, bande de cochons ! La force de ce visual novel réside dans son ambiance malsaine : tout le génie de ce jeu tient dans un concept simple (et peu ragoutant, certes), ce qui en fait, à mes yeux, un véritable chef d’œuvre ! Nous sommes sans cesse tiraillés entre la raison et l’empathie : comment ne pas avoir de pitié pour ce pauvre Fuminori ? À sa place, n’aurions-nous pas déjà perdu la raison ? On ne peut que comprendre pourquoi il se raccroche de manière si désespérée à cette frêle fille dont il tombe naturellement amoureux. Elle est la seule qui le tienne en vie. Saya est par ailleurs si fragile et candide dans ses réflexions : on ne peut pas s’empêcher de s’attacher à elle et de comprendre les sentiments du héros à son égard.

Pourtant, si l’on prend du recul, on se rend bien compte que lorsqu’il lui fait l’amour avec tendresse, dans la réalité, ça doit bien être plus dégoûtant… Et même totalement inhumain.

Surtout que les choses ne s’arrêtent pas vraiment là. Mais, pour le coup, je ne veux pas trop en dire : jouez, vous verrez par vous-même. On ne peut pas dire que les deux protagonistes soient très sages, en tous cas.

Au fil du jeu, on ne cesse de se remettre en question, et de s’interroger sur des sujets plus grands encore : que sont les sentiments, que sont les apparences, où est la frontière entre le bien et le mal face à l’ignorance ? Sommes-nous vraiment capable de tout dans les cas les plus désespérés ?

Saya no Uta vous tirera les vers du nez et vous emportera dans le fond du trou, vous faisant parfois vous sentir sale, mais aussi, paradoxalement, très humain.

Sur la forme

Généralement, la première réaction aux premières illustrations est « beurk ». On ne peut pas dire en effet que Saya no Uta possède un univers féerique. Et, pour le coup, les concepts arts servent très bien son propos. En contradiction avec des décors sordides, on soulignera un trait et une mise en couleur très doux des personnages ; un mélange surprenant et adapté au jeun malgré un charadesign un peu trop simple. Je ne peux pas nier les nombreuses grimaces déchirant mon visage en voyant Fuminori dormir dans un tas d’organes en décomposition, ni mes pincements de cœur en imaginant entendre tous les jours les voix déformées de mes camarades. Les doubleurs jouent bien, on sent rarement un excès théâtral.

Côté bande sonore, je ne compte même plus le nombre de fois où j’ai écouté Sin, la pièce maîtresse de la bande originale. Ni les moments où je me suis tapée la tête contre le mur aussi : ce n’est pas le genre de musique à écouter les soirs de déprime ! Pourquoi pièce maîtresse, d’ailleurs ? Tout simplement parce qu’à mes yeux, cette musique est le jeu lui-même : on sent la tristesse, le côté malsain, la déprime et, finalement, un chant d’amour désespéré, une pensée interdite, incomprise, terminée par une coupure brutale : la réalité qui vous assassine à coups de hache. Le reste de la bande-son garde le même esprit, mais servira davantage d’ambiance sonore : l’action, le suspens, les mauvais moments et les instants de calme. Pour finir, l’opening et l’ending du jeu suivent le cour et bouclent ce sublime ost : ZIZZ STUDIO a parfaitement su accompagner le scénario d’Urobuchi.

En conclusion

Saya no Uta est la scène de théâtre qui vous remettra en question en vous démontrant la décadence de l’esprit humain, sombrant peu à peu dans la folie. Mais n’auriez-vous pas fait de même ? Le côté malsain du jeu réside dans le miroir qu’est le protagoniste, et on se bat corps et âme pour se détacher de cette sensation d’être inhumain, tout en gardant une empathie certaine pour toute l’innocence engendrée par des sentiments et réflexions candides, en totale contradiction avec cet univers grotesque.

Pour beaucoup d’entre vous, ce sera juste un jeu dégoûtant : pour moi, c’est une perle scénaristique. On pourra lui reprocher ses fins, au nombre de trois minuscules épilogues : on aurait aimé avoir plus de choix, plus de chemins ! Ceci dit, l’ambiance sonore et le CG (Computer Graphics) vous feront vite oublier ce petit désagrément en privilégiant d’autres voies. Bienvenue dans le spectacle de l’horreur et de la décrépitude avec pour fond un chant d’amour désespéré…


Cet article est une republication d’un article paru dans l’édition reliée n° 10 de Mag’zine, que vous pouvez toujours aller le lire ici.



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Ancienne membre de l'association.

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