Le maître des livres ; amours de lecture
Cette fois-ci, chers lecteurs, je reviens pour vous présenter un petit bijou de Komikku Editions, qui positionne le manga comme un indéniable support littéraire et culturel : Le maître des livres d’Umiharu Shinohara.
Prépublié dans le Shuukan Manga Times, et initialement publié en volumes reliés par Höbunsha à partir d’août 2011, ce seinen, encore en cours* au Japon (avec quinze tomes), est disponible en France depuis août 2014, composé actuellement de treize tomes (dont le tout dernier est sorti en septembre).
Là où tout commence…
L’histoire débute par une soirée hivernale avec un jeune homme passablement éméché. Celui-ci, peu pressé de retourner dans la solitude de son appartement, malgré son état et les frimas de la saison, erre dans la ville. Le hasard le conduit dans un parc qui jouxte une bibliothèque pour enfants.
Étonné que l’établissement soit encore ouvert à une heure plutôt tardive, il y pénètre sans but précis. L’atmosphère chaleureuse, contrastant avec l’accueil plus que glacial du bibliothécaire, le dégrise partiellement. Après une explication houleuse avec le maître des lieux, Mikoshiba, et une remarque quelque peu désinvolte sur la nature même des ouvrages proposés, il se trouve enrôlé d’office pour aider celui-là.
Mais, loin de remplir la mission dévolue (ranger les ouvrages dans les rayonnages), le jeune homme est comme aspiré par l’un des livres qu’on lui a confié. L’histoire lui rappelant sa propre histoire, Miyamoto se trouve alors plongé dans de sombres réminiscences.
Tout en nous faisant découvrir le conte de la « montre musicale », l’auteur nous entraîne dans le passé du jeune homme, qui cache en lui une profonde blessure. Cette soirée changera à jamais Miyamoto, l’immergeant dans un monde qu’il soupçonnait à peine, lui ouvrant des perspectives nouvelles en lui offrant l’occasion de trouver enfin un sens à sa vie.
En effet, sans transition réelle, Miyamoto va abandonner son démon personnel des courses de chevaux pour devenir un habitué assidu de la bibliothèque de la Rose Trémière. Malgré le caractère revêche de Mikoshiba, il découvre peu à peu, en même temps que le lecteur, l’immense pouvoir de ce bibliothécaire sortant de l’ordinaire. Une lente évolution pour toujours plus d’ouverture de l’esprit.
L’auteur, Umiharu Shinohara, nous entraîne inexorablement dans le monde souvent méprisé de la littérature dite enfantine, tout en nous faisant découvrir les personnages évoluant autour de cette fameuse bibliothèque.
Mêlant inextricablement les fabuleuses histoires de la littérature mondiale, et japonaise, aux existences relativement ordinaires et, ô combien réalistes, de ses personnage, Umiharu nous fait découvrir peu à peu ces tranches de vie, à la fois hautes en couleur et si proche de nous, tout en ouvrant au lecteur des horizons culturels infinis.
Au fil des chapitres, nous en apprenons un peu plus sur le fameux Mikoshiba, sur son passé et sa philosophie de vie, qui en fait incontestablement le « maître des livres ». Ce personnage d’abords revêches, n’en est pas moins le moteur charismatique de la bibliothèque. Non seulement lui, mais aussi ses deux assistantes, tout comme Miyamoto, parfois un peu naïf et au charme discret, toujours observateur calme et bienveillant.
Les divers usagers de la bibliothèque de la Rose Trémière ne sont pas en reste, et le lecteur ne manquera pas de s’attacher à ses enfants ou adolescents, tout comme aux autres adultes qui gravitent autour de ce lieu chaleureux et culturel.
À travers chaque histoire, en passant de l’« Île au Trésor jusqu’à Dickens, alternant les classiques japonais aux classiques occidentaux, l’auteur établit un parallèle avec le vécu de l’un des personnages de son manga. Il instille aussi subtilement une vision objective sur une certaine forme de littérature qui englobe des univers bien plus profonds et réfléchis que ne le laisse supposer le public prétendument visé.
Car, malgré le mépris que peut afficher certains esprits bien pensants ou bien ignorants, les romans d’aventures, les contes de fées, les légendes ou même quelques grands classiques dévalorisés parce que popularisés par l’industrie du livre pour enfants ou autres médias visant un public souvent très jeune n’en sont pas moins de nobles supports véhiculant la culture de nos ancêtres mais aussi des temps modernes.
Un support simple mais de qualité
Le dessin à la fois fin et précis laisse la part belle à l’histoire, mais aussi aux différents récits, que l’auteur tient à nous faire découvrir. Chaque personnage est bien tranché, bien identifié, et pourtant, peu à peu, gagne en profondeur grâce au scénario si particulier. Les expressions sont faciles à déchiffrer et de nombreux indices sont fournis au lecteur pour entrer dans la dimension de chaque personnage.
Mais la magie opère aussi dans les dialogues souvent hilarants, parfois émouvants, des différents protagonistes. Le caractère épique de Mikoshiba n’y est pas pour rien, surnommé « Champignon » par les enfants qui l’adorent, il s’avère être un véritable prestidigitateur de la littérature.
Son savoir et sa culture ne semble pas avoir d’égal, hormis avec la propriétaire inénarrable de la bibliothèque. Malgré son âge relativement jeune, son amour des livres lui sert de bouclier, sa finesse d’esprit lui sert de lance, transperçant les a priori et autres préjugés de tous ceux qui passent le seuil de la Rose Trémière.
Tout ne tourne pas autour de la littérature pour enfants, même si le scénario est un excellent prétexte à la découverte ou redécouverte des grands classiques mondiaux. Ceux-ci permettent aussi de voir la transformation ou l’évolution des personnages gravitant autour de la bibliothèque de la Rose Trémière.
En passant par Miyamoto, qui le premier verra changer sa vie, l’auteur nous plonge dans les tribulations de jeunes enfants ou adolescents, en quête de reconnaissance ou d’identité, aussi bien que d’adultes à peine formés ou plus matures.
De plus, chaque tome s’achève sur un petit lexique qui offre au lecteur curieux un bref aperçu des auteurs ou ouvrages évoqués dans le volume.
Un véritable véhicule culturel
S’il en restait encore pour dénier au manga son droit au titre de support littéraire, le Maître des livres est indubitablement la preuve qu’il est aussi un véritable véhicule pour la diffusion de la culture aux publics de tous âges.
Bien qu’initialement destiné à un public mature, les adolescents passionnés de lecture y trouveront leur compte. Ce manga pourrait bien être également le meilleur lien pour aider chacun à se forger une opinion, mais aussi un goût sûr pour la littérature dans son ensemble.
Cet article est une republication d’un article paru dans l’édition reliée n° 19 de Mag’zine, que vous :pouvez toujours aller le lire ici.
*la publication du manga c’est arrêté après le 15eme tome au Japon, l’édition française est complète depuis septembre 2018.