Zootopia

Sorti en salle il y a maintenant deux mois, Zootopie est le tout dernier classique d’animation Disney, après Les Nouveaux Héros en 2014. Réalisé par Byron Howard (Les Nouveaux Héros, Volt, Star Malgré Lui) et Rich Moore (Les Mondes De Ralph), le film promettait humour et émotions. Surtout vu la campagne marketing parfois lassante du film (comme le passage des paresseux qui fut UN PEU TROP diffusé comme pub de quinze secondes sur YouTube). Pour Disney, l’enjeu était de taille après avoir sorti, via Pixar, l’excellent Vice Versa. Et à Zootopie de réussir l’exploit d’être aussi bon, et sans doute meilleur, que ce dernier. Comment ? Réponse ici.

UN MAGNIFIQUE VISUEL PLEIN D’INTELLIGENCE

Pas de surprise niveau visuel : c’est beau. Vraiment très beau. Disney nous régale les yeux encore une fois en proposant ce qui se fait de mieux en matière d’animation 3D. Les mouvements sont fluides et naturels, les lumières parfaitement gérées et chaque scène fourmille de détails.

Avec son univers animalier, Zootopie est aussi l’occasion de voir une multitude d’environnements différents. Que ce soit des décors inspirés du Maroc, d’une forêt amazonienne ou de la toundra sibérienne, l’ambiance peut changer du tout au tout en un instant. Ce qui est réellement appréciable, le film proposant alors une diversité de décors impressionnante. C’est également valable pour le cadre principal de la ville, au caractère urbain rappelant fortement New York.

Pour parler du monde de Zootopie en lui-même, il faut reconnaître qu’il est particulièrement bien construit. Pensé pour tous les animaux, le film fait preuve d’une imagination débordante pour adapter la ville à chacun. Si c’est amusant, c’est surtout un moyen d’appuyer la politique de la ville de Zootopie. Censée être une ville pour tous et où chacun peut être celui qu’il veut, Zootopie est adaptée pour tout type d’animaux.

Autre élément propre au film et d’apparence amusante : le character design. Mettant en scène des animaux anthropomorphiques, chacun véhicule ainsi des clichés. L’exemple le plus simple étant celui des paresseux bossant dans l’administration qui sont, donc, d’une lenteur insupportable. Mais nous verrons par la suite que Zootopie joue énormément sur les stéréotypes.Dans le film, on ne peut tout simplement pas se fier aux apparences. Que ce soit pour les personnages, qui vous surprendront à plusieurs reprises, ou pour le monde du film en lui-même. Il ne faut jamais juger un livre sur sa couverture, et avec Zootopie vous l’aurez bien compris.

LA RÉINVENTION DU CONTE MODERNE

Malgré ses qualités visuelles, Zootopie n’est pas non plus révolutionnaire (mais tout de même excellent). Niveau écriture, c’est par contre un tout autre niveau.

L’histoire est intéressante sans être inédite. Globalement, c’est le bon vieux cliché du flic aidé d’un malfrat dans la résolution d’une affaire bien louche. On peut cependant remarquer une introduction assez originale pour le film. Il débute sur une description très simple du monde de Zootopie, expliquant bien que les animaux, prédateurs et proies, y vivent en harmonie. De manière civilisée. On nous présente là une société égalitaire et ouverte, dans laquelle chacun peut devenir celui qu’il souhaite. Politique que Judy prendra fort à cœur en souhaitant devenir agent de police, malgré sa nature de lapine. Rapidement, on nous montrera que c’est compliqué, que policier ce n’est vraiment pas un travail de lapin qui devrait plutôt vendre sagement des carottes. Que diable, nous verrons Judy multipliant courageusement les efforts pour atteindre son but. Ce qu’elle fera, sortant même major de sa promotion à l’école de police. Fin ? Non, ce passage n’occupe maximum que les dix premières minutes du film. La véritable histoire de Zootopie ne s’arrête pas là, bien au contraire. Et elle va aller bien plus loin qu’une classique morale du style « sois ce que tu veux ». Cette introduction est bien niaise, sans doute pour « parodier » les histoires ayant cette morale finalement bien simple.

Et pour cause, dès que Judy arrive à Zootopie pour débuter son travail, le ton du film change fortement. Sans tomber directement dans un drame larmoyant, le film adopte un ton bien plus réaliste. Au début plein de promesses et de rêves s’oppose la « vraie vie » de Judy. Au boulot, on la déconsidère parce que c’est une lapine. Réduite aux amendes de stationnement, elle subit alors de nombreuses plaintes suite à un travail un peu trop efficace. Et enfin, elle vit dans un appartement miteux à côté de voisins bruyants et effrontés. Bref, Judy a une belle vie de **tarte aux fraises**. Et c’est assez appréciable de voir ça dans un film Disney. Zootopie montre que malgré les belles morales que l’on peut voir dans les Classiques d’animation Disney, la vie est loin d’être aussi simple. C’est encore plus flagrant quand le chef de la police fait référence à La Reine des Neiges, un Disney classique (même s’il a su lui aussi réinventer le traditionnel conte de princesses). Et la belle ville de Zootopie, jusque là présentée comme un environnement idyllique de respect et de progressisme, se révèle bien plus discriminatoire. Le tout apparait même assez hypocrite désormais, tant cette politique de « chacun peut être ce qu’il veut » semble mensongère. Sous ses beaux airs, Zootopie est en réalité une ville profondément raciste. Et c’est sans doute là le plus beau coup d’écriture du film.

UNE MORALE ANCRÉE DANS LE PRÉSENT

Car si beaucoup verront la réinterprétation complète du « sois ce que tu veux », Zootopie est aussi une brillante mise en scène des rapports de pouvoir (opposition entre un groupe social qui serait opprimé par un autre en position d’hégémonie/de force) qui ont cours dans notre société actuelle. Dès le départ, nous avons affaire à un monde divisé en deux « races », avec d’un coté les proies et de l’autre les prédateurs. Ces derniers sont perçus, du point de vue de la famille de Judy (des lapins, donc des proies), comme violent et dangereux. Et, assez logiquement, un préjugé autour des renards perdure

donc. La courageuse Judy se balade malgré tout avec un spray anti-renard, ce qui ne manquera pas de faire tiquer le petit Nick par la suite. Le film conduit d’ailleurs à instaurer une sorte de méfiance autour des renards, avec l’agression que subit Judy au tout début du film. Et ça, ce n’est qu’un exemple. Zootopie possède de nombreuses oppositions de ce genre. Avec en premier lieu l’opposition prédateurs/proies.

Ainsi, les personnages sont tous radicalisés, rattachés à un groupe, une catégorie. Et bien plus que ce que la ville de Zootopie voudrait le faire croire. C’est aussi une représentation extrêmement actuelle de notre société. Nous vivons dans un monde où la discrimination est quelque chose de strictement négatif. Autrement dit, nous sommes actuellement dans une hégémonie rejetant cette notion. Et c’est en-soi une bonne chose, mais qui, dans les faits, est bien plus complexe. Ce que met en scène Zootopie, en montrant que, malgré un monde où les discriminations se seraient effacées, les inégalités et les préjugés continuent de perdurer dans l’ombre.

Et ça, ce n’est que du point de vue où les proies seraient les dominants et les prédateurs les opprimés. Mais ce n’est pas tout. Et là se situe le véritable génie de Zootopie. Le film déborde de rapports de pouvoir. Dans tous les sens. Selon le contexte, la situation, les rapports de force s’inverseront entre proies et prédateurs. Mieux encore, cela ne se limite pas à des oppositions proies-prédateurs. Le film met également en scène des rapports de pouvoir au sein même des prédateurs (on pourrait en voir aussi entre les proies, mais à un niveau bien moindre). C’est là que certains choix visuels prennent sens, comme le fait que Nick soit un renard. Un animal qui serait de nature fourbe – ce que le personnage est, du moins au début – et auquel on ne devrait pas faire confiance. Qui plus est, ses rêves de brave renard furent brisés par des idées préconçues qu’avaient les scouts-proies qu’il venait de rejoindre enfant.

C’est là une excellente manière de mettre en lumière à quel point la société de Zootopie (comme la nôtre) peut être divisée par les stéréotypes. Et ce dans tout milieu, dans tout groupe social. Et surtout, le final du film porte un gros coup de massue à ces idées selon lesquelles les individus seraient prédéterminés par leur « nature » (nature de prédateur par exemple). Ce message, il est beau et particulièrement bien exprimé au sein du film.

POUR FINIR

Zootopie est un film splendide. Visuellement magnifique et très intelligent, il possède surtout une écriture pleine de profondeur et de réalisme. Loin de la niaiserie habituelle d’un Disney de base, on a là une histoire extrêmement moderne et actuelle. La morale, bien loin d’un naïf « sois ce que tu veux », est riche et pleine de beauté

Cette dernière a le mérite d’être particulièrement réaliste. Zootopie va plus loin que la plupart des films abordant le sujet des discriminations. Il est empreint d’un non-manichéisme fort et salutaire. Et surtout, il fait preuve de clairvoyance en s’illustrant dans une société qui aurait déjà fait table rase de ces discriminations.

Trois ans après La Reine des Neiges, Disney continue de réinventer ses classiques avec une œuvre pleine de vérité.


Cet article est une republication d’un article paru dans l’édition reliée n° 16 de Mag’zine, que vous :pouvez toujours aller le lire ici.



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