The Prodigies
Pour ce numéro, j’avais l’intention de vous présenter « La nuit des enfants rois » de Bernard Lenteric, œuvre magistrale du thriller d’anticipation français, et en cherchant des adaptations potentielles, je suis tombée sur cet ovni de l’animation 3D, sorti en 2011.
Je vous présenterai donc « The Prodigies », très librement inspiré du célèbre roman, car l’histoire est transposée dans un univers à la fois plus actuel et fantasmagorique. C’est une production européenne, réalisée par Antoine Charreyron. Très francophone, malgré son titre, pourtant toute l’histoire se déroule aux États-Unis.
La cinématique de départ
L’histoire débute avec Jimbo, un adolescent, jouant calmement dans une cave, avec un assemblage impressionnant de trains électriques. Quand soudain, les parents font irruption en criant, le père s’en prend alors violemment au jeune garçon, la mère hurlant. En quelques secondes, tout bascule et l’univers d’apparence si tranquille de Jimbo éclate littéralement, finissant avec le décès de ses parents.
Changement d’atmosphère, Jimbo est enfermé dans un asile, où un homme, Killian, va le sortir de là, en lui prouvant qu’il n’est pas unique en son genre et que la violence n’est pas la seule solution, qu’il y a d’autres choix possibles.
Puis, nous retrouvons Jimbo adulte, devenu enseignant dans un centre « high-tech », la fondation Killian. En couple avec Ann, mais ayant gardé son âme d’enfant, Jimbo cultive toujours son jardin secret, les trains électriques, dont le ballet est orchestré cette fois par un super ordinateur, Fozzy. Il poursuit la quête de Killian avant lui : trouver d’autres génies si particuliers.
Et le miracle survient encore, cinq adolescents font surface, piratant en même temps Fozzy, sans même se connaître, et posant la question ultime : « Where Are You ? ». Jimbo en ressent une joie démesurée, mais la mécanique de l’impensable est déjà en marche.
Le concept
Attention Spoil !
La cinématique de départ a posé pour vous l’univers du film, en suivant l’un des personnages principaux : Jimbo.
Laissez-moi vous présenter Jimbo, mon personnage favori ! C’est un adulte dégingandé ou un adolescent trop vite grandi, tout en bras et jambes dont il ne sait pas toujours quoi faire, d’une intelligence hors du commun. Bref, c’est un génie, un géant avec un cœur à sa mesure. Pas une once de violence en lui malgré qu’il soit littéralement immense, il culmine à plus de deux mètres !
Du moins en apparence, car les événements vont faire remonter à la surface la violence de son enfance, le torturant dans ses rêves. Il doit faire face à l’incontournable dilemme qu’il a toujours évincé d’un simple haussement d’épaule et enfoui au plus profond de son cerveau hyperactif : qu’est-ce qu’un adulte doit faire pour démontrer son amour à des enfants victimes de la violence des adultes, dotés de capacités uniques ? Comment leur expliquer la subtile nuance entre « être capable de » et « ne pas le faire » qui relève de la prétendue sagesse de l’âge adulte ? Ou fera-t-il le choix de les rejoindre parce qu’il est comme eux au final ?
Les enfants justement parlons en : Gil, Liza, Harry, Sammy et Lee ! Chacun vient d’un monde différent mais, avec un point en commun, ils y sont aussi à l’aise qu’un poisson hors de l’eau. De par leur âge, ils ne peuvent y échapper et, pourtant, leur esprit aspire à tout autre chose.
Un désespoir infini les habite, certains sont même totalement isolés et en ressentent une haine profonde. Ils ne vous seront pas tous présentés en détail, mais ont tous leur rôle à jouer. L’apparition de Jimbo, dans leur monde si étriqué, va leur ouvrir un horizon de joie inespérée, en leur apprenant qu’ils ne sont pas seuls. Mais, car il y a un mais, lorsque enfin ils se retrouvent ensemble, submergés de bonheur, l’horreur vient les percuter de plein fouet !
Ce contraste si tranchant, entre leur union spirituelle et la surenchère de violence physique et morale qu’ils vont subir, dans un laps de temps très court, va réveiller leurs pouvoirs. Et initier un déchaînement de haine inimaginable. Seuls, ils ne sont rien mais, ensemble, ils sont capables de tout et détiennent le potentiel pour détruire la planète !
Ann, l’épouse de Jimbo, a elle aussi son importance. Elle est normale, dans le sens le plus commun du terme, mais aime profondément Jimbo. Lorsqu’il « dérape », elle fera tout pour l’aider, même si en apparence, elle s’éloigne de lui. Et Jimbo l’aime lui aussi profondément, même s’il est partagé par son désir de vouloir protéger les enfants, la violence enfouie en lui et son amour pour elle.
Mélanie Killian, enfin, est la fille de l’homme qui a « sauvé » Jimbo. Elle est intelligente mais en veut à Jimbo de lui « avoir volé » son père. Elle est relativement vénale et voudrait évincer Jimbo du groupe Killian, à la mort de son père, mais se laisse « appâter » par une des idées de Jimbo : une émission très médiatisée, présentant les plus grands jeunes génies d’Amérique. Elle va apporter par son intransigeance et sa capacité à préserver ses intérêts personnels, une pierre de plus, au moulin de la haine des enfants. Son acolyte, Jenkins, assistant efficace et rusé, se fait l’instrument sans faille de toutes les décisions et caprices de l’héritière, il paiera son dévouement au prix fort.
Finalement, les agresseurs ! Ils n’apparaissent que vers le milieu du film, ne sont que de simples voyous en mal de sensations fortes, bêtes et brutaux, et sont les premiers à subir la colère des enfants, mais leur attaque va marquer un tournant crucial dans l’histoire.
Fin du spoil
La réalisation
Antoine Charreyron a réuni autour de lui quelques grands noms de l’animation 3D et du « comics » pour mener à bien son premier projet de film. Vous le connaissez peut-être déjà car il vient de l’univers du jeu vidéo, pour lequel il a réalisé de nombreuses cinématiques.
Ce projet était un défi pour lui, car le rythme d’un film est très différent d’un jeu, il faut laisser le temps au spectateur de s’imprégner de l’ambiance de l’histoire, poser la psychologie des personnages, mais aussi garder l’action suffisamment présente, sans casser la dynamique de l’histoire.
À l’origine, les producteurs, qui avaient racheté les droits pour « La nuit des enfants rois », voulaient une réalisation en prise de vue réelle, mais le concept est tellement violent que que ça ne passait pas visuellement. Aussi, Antoine Charreyron a choisi l’option de la « motion capture » et a conçu son story-board autour de cette technique. Si l’ensemble est surprenant, il n’en est pas moins très réussi, tant dans le charadesign, que pour la fluidité de l’animation.
La réalisation alterne avec des scènes très classiques, et presque picturales dans les phases plus calmes, avec des scènes plus rapides et fantasmagoriques, plus graphiques aussi dans les moments d’extrême violence, ponctuées et rythmées par des jeux de caméras qui vous plongent directement dans l’action ou vous font faire quelques tours d’horizon assez amusants.
Antoine Charreyron vient de l’univers du jeu, mais est aussi un grand fan de cinéma. Il a ponctué sa réalisation de nombreux clins d’œil à ses deux passions, les retrouverez-vous ?
Un seul petit bémol, uniquement dû au budget du film, on y retrouve parfois quelques incohérences, non pas scénaristiques, mais purement techniques. Que voulez-vous, n’a pas de production hollywoodienne qui veut ! Tant d’efforts gâchés par des questions de gros sous, c’est vraiment dommage ! Mais nos producteurs européens ne l’ont toujours pas compris ! Après on s’étonne que nos meilleurs talents s’expatrient !
Le « casting »
Il a fallu quatre ans de travail acharné et plus de cinq cents personnes, pour aboutir à cet ovni. Le design des personnages a été imaginé par Humberto Ramos, Francisco Herrera et Jean-Marc Pannetier.
Le scénario est écrit par Alexandre De La Patellière et Mathieu Delaporte, sur l’univers créé par Viktor Antonov, que vous connaissez aussi sans doute. Les effets visuels sont dirigés par Antoine de Broka et Antoine Poulain.
Le tout est magistralement accompagné des musiques orchestrées par Klaus Badelt. De nombreux acteurs cascadeurs (ou pas) ont aussi participé au tournage pour la motion-capture, ainsi qu’au doublage des voix. Alain Filglarz a su coordonner les cascades en toute sécurité pour donner vie aux visions les plus loufoques du réalisateur.
Le doublage a été fait à la fois en anglais et en français. Vous pourrez découvrir le casting complet en louant ou achetant le DVD, mais je vous livre ici leurs noms pour quelques personnages principaux :
Jimbo adulte : Jeffrey Evan Thomas / voix française : Mathieu Kasovitch
Jimbo enfant : Jacob Rosenbaum / voix française : Alexis Tomassian
Ann : Isabelle Van Waes / voix française : Claire Guyot
Gil : Jacob Rosenbaum / voix française : Thomas Sagols
Liza : Laurence Carter / voixfrançaise : Jessica Monceau
Harry : Dante Bacote / voix française : Diouc Koma
Lee : Sophie Chen (jeu et voix) Sammy : Nilton Martin / voix de doublage : David Scarpuzza
Mélanie Killan : Moon Daily Monira / voix française : Julie Dumas
De l’œuvre originale à l’inspiration de l’animation
Antoine Charreyron a découvert « La nuit des enfants rois » à l’adolescence, aussi tout en gardant Jimbo comme personnage central, il a voulu mettre plus en avant les enfants en leur donnant des pouvoirs un peu plus « badass » que leur seul génie.
Il voulait cependant conserver une dimension humaine et émotionnelle, ne pas en faire « des super-héros de la mort qui tue ». Il a donc opté pour le pouvoir du contrôle des corps, sans intrusion dans l’esprit des « marionnettes ».
Le contraste, des agissements de ces corps « téléguidés » avec les protestations et supplications des victimes, met en valeur, plus visuellement, la fureur aveugle des enfants. Cela donne aussi l’occasion de quelques moments assez comiques, malgré la violence de l’action.
En cela, il respecte totalement l’esprit de Lenteric, auteur génial qui allie l’angoisse et l’humour avec une facilité déconcertante. La trame de l’œuvre originale est aussi respectée : des génies, isolés dans un monde ignare, qui sont réunis, connaissent enfin le bonheur de ne plus être seuls et voient leur nouvel univers souillé à jamais par la violence gratuite. La colère des adolescents face à l’injustice des adultes et ce qu’ils seraient capables de faire s’ils en avaient la possibilité.
Si le film par certains côtés, impératif de production oblige, est bien moins violent que l’histoire originale, l’angoisse et l’horreur y sont malgré tout présents, donc âmes sensibles s’abstenir ! Charreyron a même gardé, volontairement ou non, la symbolique du « Sept » qui m’est si chère, même s’il dissimule ce chiffre magique dans les méandres de sa réalisation, alors que Bernard Lenteric vous l’instille par tous les pores !
Le réalisateur s’écarte aussi totalement de l’histoire originale avec ses personnages « adultes » et Fozzy, le superordinateur, n’a pas forcément la place qu’il mérite, mais je vais vous laisser le plaisir de comparer les deux œuvres et ne vous gâcherai pas la surprise.
Le mot de la fin
J’ai découvert « The Prodigies », sans avoir relu Lenteric, et ce n’était pas plus mal.
Habituellement, les adaptations de mes œuvres favorites me font grincer des dents. Ici, la transposition s’est faite « en douceur » car l’univers de « The Prodigies » est malgré tout très différent. Trente ans les séparent et une adaptation simple aurait été ridicule.
Antoine Charreyron a eu raison d’opter pour un univers plus fantastique car, si « La nuit des enfants rois » était une vraie œuvre d’anticipation en 1981, avec son super-ordinateur, ses piratages informatiques, etc., ce n’est plus vraiment de la science-fiction de nos jours.
Cela ne plaira cependant pas à tout le monde, mais c’était une bonne option pour contrebalancer la violence intrinsèque de l’histoire.
Mon seul regret sera les personnages adultes, surtout Jimbo, dont la dualité psychologique m’avait profondément marquée. À vrai dire, j’ai découvert « La nuit des enfants rois » bien plus tard que le réalisateur, dans les premiers pas de l’âge adulte justement. Aussi m’étais-je bien identifiée à Jimbo sur cet aspect.
D’ailleurs, Lenteric nous laisse dans le flou quasiment jusqu’à la fin, sur ce qu’il va décider par rapport à « ses » enfants, qu’il suit durant plus de dix ans dans l’œuvre originale. Il maintient le doute quant à la complicité de Jimbo, ou sa culpabilité, tout au long des presque trois cents pages de l’histoire, alors que le film le positionne assez rapidement.
Le changement de support et la limite de temps imposée, quatre-vingt-sept minutes, ne permettait sans doute pas de maintenir ce niveau.
J’ai également pris beaucoup de plaisir à regarder ce film et pourtant je suis loin d’être fan de la « 3D » en animation. Néanmoins, avec « The Prodigies », j’ai trouvé un excellent compromis entre le cinéma « vivant » et l’animation : ce petit quelque chose qui me manque généralement dans la 3D basique, avec ou sans « motion capture ». Ce ne sera sans doute pas le seul, mais ce film m’a réconciliée avec ce type d’animation.
Cet article est une republication d’un article paru dans l’édition reliée n° 13 de Mag’zine, que vous :pouvez toujours aller le lire ici.