La Fille de la Plage

La jeunesse est un des sujets fétiches d’Inio Asano. On la retrouve dans Un Monde Formidable, La Fin du Monde avant le Lever du Jour, ainsi que l’excellent Solanin et, évidement, Bonne Nuit Punpun. Et c’est encore le cas avec La Fille de la Plage, une série en deux tomes publiés entre juillet 2009 et janvier 2013, dans le Manga Erotics F, au Japon, et chez IMHO, en France. La mention « Erotics » n’est pas hasardeuse, La Fille de la Plage ayant le sexe pour élément central. Pour autant, le manga ne devient jamais un hentai, l’érotisme servant au contraire au développement de l’intrigue et de ses personnages. Au niveau de l’histoire, tout tourne autour de la relation entre deux collégiens, Koume Satou et Keisuke Isobe, qui sera à la fois intime et psychologique. Le tout prenant place dans le cadre calme et rural d’une petite ville au bord de mer.

Pour ceux connaissant déjà Inio Asano, ils savent déjà à quel point l’auteur possède de solides qualités en terme de dessin. Et dans ce domaine, La Fille de la Plage impressionne sur de nombreux points. Comme dans la plupart des œuvres de l’auteur, le trait est tout bonnement splendide. Il allie à la perfection détails et finesse, offrant ainsi des décors somptueux, des personnages aux visages très expressifs et des doubles-pages impressionnantes. Les scènes sous la pluie, illustrée par des stries blanches, dégagent une puissance émotionnelle forte.

De même pour les scènes devant la mer, dans un registre plus contemplatif mais tout aussi fort. Le découpage et la mise en scène brillent également au sein de l’œuvre. Le style d’Inio Asano fait la part belle aux mouvements et aux changements d’échelles, rendant le tout presque cinématographique. Il y a aussi une grande maitrise technique au niveau du rythme. Cela se voit surtout dans les scènes fortes, comme à la fin du premier tome où un moment de tension est interrompu par une grande case illustrant la petite ville. Le rythme, jusque là crispé et intense, se voit soudainement brisé pour devenir bien plus lent, comme en suspend, insistant alors sur l’importance de la scène.

Les scènes de sexes, qui sont particulièrement présentes, font elles aussi preuve d’intelligence dans leur composition. Leur mise en scène est variée, étant soit suggestive ou explicite. Tout ceci est d’ailleurs rondement bien mené, les visages ou les gestes des personnages illustrent aisément l’acte sexuel et son déroulement. Mais par moments, la suggestivité laisse place à une explicité forte. Gros plans sur les organes génitaux, illustration directe de la pénétration et autres positions sexuelles, le manga ne fait pas toujours dans la finesse. Il montre clairement les pratiques qu’ont Satou et Isobe, le sexe étant la clé de voute de leur relation après tout.

Mais il faut saluer l’élégance d’Asano qui ne tombe jamais dans du hentai graveleux, préférant un érotisme beaucoup plus poétique. Les parties intimes, si elles sont souvent montrées au cours de ces scènes, sont également dessinées sans trop de détails. On se limitera aux poils pubiens de Satou ou d’une forme blanche facilement reconnaissable pour le pénis d’Isobe. Et ces détails sont capitaux car, dans La Fille de la Plage, les relations charnelles font parties intégrantes du récit et de la construction de ses personnages.

Comme déjà dit précédemment, le sexe est l’élément central de la relation entre Koume et Isobe. Ainsi, l’acte n’est pas tant une scène d’exhibitionnisme servant à aguicher le lecteur mais davantage à développer l’histoire. Leur mise en scène va ainsi de paire avec cette dernière, chacune dégageant une atmosphère exprimant les émotions de ses personnages. Ce qui apporte beaucoup à l’histoire du manga et son duo principal. Une belle réussite même puisque La Fille de la Plage arrive à utiliser l’érotisme comme réel outil d’écriture.

Toutes ces qualités visuelles ne servent qu’à une chose : narrer une histoire pleine de réalisme. Si Inio Asano a pour habitude de raconter des récits pleins d’humanités, La Fille de la Plage est davantage concentré sur son thème fétiche : la jeunesse. Le duo principal, Koume et Isobe, représentent ainsi deux facettes de cette thématique qui tient tant à l’auteur. Koume est une fille perdue, en quête d’identité dans un monde où tout semble bien aller pour elle et cela l’empêche de considérer l’avenir. Mais elle a également une part de naïveté qui l’empêche de se rendre compte de ce qu’elle fait.

Comprendre qu’elle ne voit pas l’étendue de ses actes, aussi importants soient-ils (notamment ses relations intimes avec Isobe). Sa naïveté l’oppose farouchement avec ce dernier d’ailleurs. Isobe connait bien la dureté de ce monde. Avec ce qui est arrivé à son frère, il a perdu complètement foi en ce monde qui le désintéresse totalement (ce qui est sans doute le seul point commun que partagent Isobe et Koume dans leur relation avec le monde). « Maudit » par l’histoire de son frère, il souhaite ne pas terminer comme lui qui s’était plié face à la société. On a ainsi deux personnages diamétralement opposés, l’un étant un être profondément cynique et l’autre une jeune fille naïve et perdue.

(le paragraphe suivant contiendra quelques révélations sur l’histoire, vous êtes prévenus)

Ce qui fera que ce duo ne marchera jamais dans la même direction. Leur relation sera même à sens unique. Si au début Isobe est bien amoureux de Koume, celle-ci n’a pas de tels sentiments pour lui, qu’elle utilise alors comme un jouet. Mais à terme, elle trouvera en ce dernier une figure à laquelle s’attacher. Trop tard. Leurs relations sexuelles en sont une bonne illustration. Dénuées de passion, elles seront de plus en plus désordonnées au fil de l’histoire. Une évolution assez classique pour ce couple atypique qui n’aura jamais été accordé. Et si le récit ne prête pas à l’optimisme, sa finalité semble l’être bien plus. Isobe aura atteint le fond du fond en usant de la force sur les personnes qu’il détestait pour cette même raison, entre autres. Mais cela lui fera réaliser son erreur et, assez brutalement, le fera remonter. Le sortant au passage de la « malédiction » de son frère. Et Koume, qui aura donc connu un échec amoureux regrettable avec Isobe, sortira de sa « bulle » pour avoir une vision bien plus large du monde. Au final, l’histoire qu’auront vécu ces deux personnages les aura débarrassé chacun de leurs maux.

La Fille de la Plage met en scène deux représentations de la jeunesse. Que ce soit celle qui est naïve, n’ayant pas conscience du monde qui l’entoure ou de celle complètement lassée de ce même monde qu’elle trouve exécrable. Le tout dans un récit plein de froideur mais dont la finalité semble assez optimiste. Pas nécessairement joyeuse, mais loin d’être pessimiste. C’est donc un autre fabuleux récit de jeunesse que signe là l’auteur. Le tout avec une patte graphique toujours impressionnante en terme de réalisme et de qualité. Pour peu que l’on ne soit pas effrayé par les (nombreuses) scènes sexuelles du manga, La Fille de la Plage est un manga à lire absolument. Comme le reste des œuvres d’Asano, d’ailleurs.


Cet article est une republication d’un article paru dans l’édition reliée n° 17 de Mag’zine, que vous :pouvez toujours aller le lire ici.



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Ancien membre de l'association.

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