Bride Stories ; un saut dans l’Histoire pour de petites histoires

Pour rester encore un peu dans l’esprit romantique, chers lecteurs, je vais vous présenter un seinen haut en couleurs qui vous fera voyager dans les petites histoires de la grande Histoire : Otoyomegatari de Kaoru Mori, ou Bride Stories pour la version française.

Pré-publié à partir de 2008 dans le magazine Fellows! (devenu Harta depuis), ce manga est édité en tome par Enterbrain, au Japon, depuis 2009. Actuellement, la série est en cours et comprend 10 tomes, que vous retrouverez en France aux éditions Ki-oon.

Un saut dans l’Histoire pour des tranches de vie émouvantes

Dès le début, vous vous retrouvez plongés dans la vie d’un petit village d’Asie Centrale au XIXe siècle, en plein milieu d’un mariage tout ce qu’il y a de plus traditionnel, mais quelque peu insolite à nos yeux d’occidentaux.

En effet, les jeunes mariés, Amir et Karluk, viennent tout juste de se rencontrer et célèbrent une union qui devrait durer toute leur vie. Et ce qui ne laisse pas d’impressionner au départ, c’est leur différence d’âge, mais surtout leurs âges respectifs. D’ailleurs, John Smith, un jeune anglais, venu visiter le pays et séjournant dans le village pour en étudier les us et coutumes, est fort surpris et observe la célébration avec une grande curiosité.

Amir, à déjà vingt ans, est considérée pour son époque comme une vieille fille. Venue d’un clan nomade assez pauvre, elle n’espérait plus pouvoir se marier. Même si l’annonce de son prochain mariage l’a surprise, la vue de son futur époux n’a pas manqué de la réjouir, même s’il est un peu petit. Plutôt que le vieil homme acariâtre auquel elle s’attendait, elle découvre un jeune adolescent doux et timide de huit ans son cadet.

Elle va se prendre rapidement d’affection pour celui-ci et sa famille. Amir ne cesse de surprendre ces derniers, par son trousseau d’abord, puis par ses compétences de chasseuse. Amir découvre de nouvelles traditions et façons de vivre, et ne ménage pas ses efforts pour s’intégrer à sa nouvelle famille, tout en apportant son propre savoir faire.

Elle va d’ailleurs gagner rapidement leur affection, ainsi que l’approbation de tout le village, grâce à sa gentillesse et sa vaillance.

Karluk entre dans sa vie d’homme, fils aîné d’une famille relativement « aisée », mais nombreuse. Il est fier de respecter la tradition de sa famille et de son village en prenant une épouse à douze ans. Il n’en est pas moins fortement impressionné par cette jeune femme, douce mais si mature, si expérimentée. Il prendra à cœur son nouveau rôle, sans toutefois perdre de vue la différence d’âge avec Amir, ce qui le perturbe grandement.

Les jeunes mariés étant habituellement d’âge assez similaire, Karluk cherche sans cesse à prouver sa force et sa virilité, pour être un bon époux, en proie aux affreux doutes de l’adolescence. Il lui arrive même de dépasser les limites de sa santé, ce qui inquiète beaucoup Amir. Car il ne veut pas croire les protestations affectueuses de celle-ci, qui lui dit de prendre patience en laissant le temps faire son œuvre.

John Smith, quant à lui, se réjouit d’avoir assisté à ce mariage, comme il se réjouit de tout ce qu’il découvre sur la vie du village. D’un naturel curieux et intéressé, il n’hésite d’ailleurs pas à participer. Les villageois l’adoptent rapidement et Karluk et Amir le considèrent comme un ami. John Smith va cependant devoir les quitter un temps pour rejoindre un ami à Ankara.

Ce long périple, accompli avec un jeune guide rusé, sera aussi l’occasion pour lui de faire de merveilleuses rencontres, malgré les dangers, car les temps sont durs en Asie Centrale. En effet, les russes cherchent, par tous les moyens, à accéder à la mer et font pression sur tous les territoires limitrophes à leur pays pour percer une voie d’accès.

Suivre la vie d’Amir et Karluk ou partager le voyage de John Smith, vous permettra aussi de découvrir nombre d’autres personnages sympathiques, voire hilarants, dont la plus marquante est Pariya. Fille du potier du village de Karluk, elle a un caractère farouche, qui fait fuir les prétendants et les autres jeunes filles, bien qu’Amir l’apprivoise avec facilité, car Pariya, en fait, est une grande timide, au cœur d’or et à l’honnêteté verbale un peu trop facile.

Une mangaka, passionnée par son art et curieuse de tout.

Kaoru Mori, née en 1978, a fait ses débuts sous le pseudonyme de Fumio Agata, en dessinant des dôjinshi, notamment de domestiques, en 1997. Elle se passionne pour l’histoire mais surtout les figures de femmes fortes. Elle avoue d’ailleurs lors d’une interview consentie au « Journal du Japon », lors du Salon du Livre de Paris, en 2014, prendre un grand plaisir à dessiner et imaginer ses personnages féminins, notamment.

Elle est passionnée par le dessin dès son plus jeune âge, elle envisage même de devenir artiste peintre avant de s’orienter vers des études d’architecture. Cependant, sa passion initiale la rattrape au lycée et ne la quittera plus. Elle dessine surtout des maids, des femmes de chambre de l’époque victorienne, qui donneront plus tard naissance à Shirley, puis Emma.

A l’époque, elle ne se voit pas en mangaka, elle donne juste libre court à sa passion, en donnant vie à ses divers centres d’intérêts. C’est grâce à un éditeur d’Enterbrain, que nous pouvons avoir le plaisir de lire ses œuvres aujourd’hui.

Bride Stories tient d’ailleurs sa source à sa période lycéenne, lorsque Kaoru Mori lisait beaucoup de récits de voyage sur l’Asie centrale, ou des recueils de photos sur les us et coutumes de cette région. Si Bride Stories connaît un rythme de publication assez lent, un tome par an, c’est parce que Kaoru ne cesse de se documenter et n’hésite pas à visiter la région pour en apprendre plus sur la vie là-bas et la retranscrire pour nous à travers ses personnages.

Kaoru veut, grâce à son œuvre, accomplir aussi une sorte de devoir de mémoire, pour que toutes ses petites traditions, mais aussi ses valeurs profondes auxquelles elle croit, ne se perdent pas dans le modernisme forcené de notre époque.

Au travers de ses planches, qui vous offrent souvent de merveilleux détails sur l’artisanat local, elle partage son amour pour les animaux, le savoir-faire particulier à ces peuplades, ainsi que leur savoir-vivre. Elle a volontairement choisi le XIXe siècle, son époque de prédilection, également parce que c’est une période de grands bouleversements pour les peuples d’Asie centrale, qui voient la domination occidentale et russe, grignoter inexorablement une vie rude mais aussi paisible, en les entraînant dans des conflits bien plus dévastateurs que des guerres de clans.

Ce qui m’a happé dans Bride Stories

Sans connaître la mangaka, je connaissais déjà son œuvre avec l’anime Emma, adaptation de son manga à laquelle elle a participé. C’est avant tout un hasard si je suis tombée sur Bride Stories, car j’avais tout d’abord remarqué les volumes d’Emma chez ma libraire favorite.

La qualité du dessin m’a beaucoup plu, les personnages d’Amir et Karluk, le lieu atypique et surtout cette plongée dans les traditions des peuples d’Asie centrale, ont fait le reste. Tous les personnages que Kaoru met en avant au fil des tomes sont attachants.

Même si l’histoire (ou plutôt les histoires) se développe surtout autour du jeune couple de départ et de John Smith, Kaoru n’hésite pas à s’arrêter pendant un ou deux tomes pour développer un peu plus ses personnages secondaires, tout aussi émouvants, provoquant même de bons fous rires, comme avec ses jumelles particulièrement espiègles.

La plupart des futures mariées, qui servent de prétexte au déroulement de ce manga, sont d’ailleurs assez jeunes, ce qui renforce sans doute cet attachement, car on peut en quelque sorte les voir grandir mentalement.

Certes, j’ai déjà une grosse prédilection pour les contextes historiques, mais le genre « tranche de vie » n’a que plus rarement mes faveurs. Pourtant, ici, j’ai non seulement eu l’impression de voyager dans le temps, mais aussi de vivre un peu avec Amir et Karluk. Leur grand respect pour la famille, l’esprit d’entraide qui anime les villageois, mais aussi l’âme curieuse sans arrière pensée néfaste de John Smith, ou encore les portraits hauts en couleurs des autres jeunes filles présentes, m’ont séduites au plus haut point.

Pour conclure

La série est encore en cours, donc si cela vous tente, vous aurez largement le temps de rattraper les publications de Ki-oon, avant le tome onze, prévu pour 2019. Ki-oon a d’ailleurs fait de Bride Stories une de ses séries phares, puisque le manga est proposé à la fois au format classique et en grand format, dans la collection Latitude.

Et si mon avis ne vous suffit pas, d’autres le partagent puisque Bride Stories a été récompensé en 2012, par le Prix inter-génération du Festival d’Angoulême, et en 2014, par le Prix du Manga Taisho.

N’hésitez donc pas à vous plonger dans ses histoires, quel que soit votre âge ou votre sexe.


Cet article est une republication d’un article paru dans l’édition reliée n° 20-21 de Mag’zine, que vous :pouvez toujours aller le lire ici.



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Rédigé par

Tricoteuse de chiffres IRL. Garde & Petite Main du Mag'zine. Animatrice du Divan dit Vent. Phrase fétiche : « Puissiez-vous vivre des moments intéressants »

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