Croquez dans le rap à pleines dents avec 7Jaws

Je suis très heureux de vous retrouver à nouveau, aujourd’hui, pour vous faire découvrir un artiste qui me tient particulièrement à cœur. Permettez-moi de continuer ma propagande pour le rap francophone. Nous nous intéressions durant le dernier numéro à TRINITY de Laylow, changeons désormais d’univers en entrant dans celui de 7 Jaws. À prononcer « Sept Jaws » et non pas « Seven Jaws », vous avez potentiellement déjà pu rencontrer son logo dans le dessin animé « Alice aux pays des merveilles », produit par les studios Disney. Il s’inspire en effet du sourire du chat de Cheshire qui ressort dans l’obscurité, lorsqu’il rencontre Alice. Au-delà des délires psychédéliques, la signification du sourire, qu’il s’est tatoué sur la joue droite, représente ce qu’on laissera après notre passage sur Terre.

7 Jaws est un rappeur originaire de Sarrebourg, en Moselle. Il débute le rap avec des amis durant l’adolescence. Il forme également le groupe Squalee, avec le rappeur genevois, Lee Kokoro. Ancien pratiquant de MMA, il se retrouve avec plusieurs dents brisées lors d’un entraînement sans protection. Un ami essaie maladroitement de le rassurer en lui assurant que : telles les vies d’un chat, s’il perd une mâchoire, il en retrouvera sept (bien que l’adage en mentionne neuf !). Ainsi naît, sur cette touchante plaisanterie, le pseudonyme 7 Jaws. D’origine algérienne et polonaise, je dois concéder que je n’ai pas eu l’occasion de retrouver le style de 7 Jaws chez un autre de ses confrères rappeurs.

Oubliez tous les clichés du rap, la première caractéristique qui marque, chez 7 Jaws, est son apparence physique. D’une maigreur extrême, il affuble son enveloppe corporelle de nombre de tatouages au fil des années. Chevelu ou non, selon les périodes, mention spéciale au morceau Shadow Boxing, un de mes clips préférés avec la course de libération, suite à son rasage complet après un passage chez un coiffeur japonais. Identifiable par l’ad libitum « Lee » , répété ou non selon les morceaux, en référence aux familles asiatiques dont les valeurs reposent sur le travail acharné. « Lee » est également sa manière d’identifier ses followers.

La seconde concerne son style musical. Impossible de l’enfermer dans une cage. Tout d’abord car son rap est bien trop libre pour cela. Ensuite, car son art est soumis à de nombreuses inspirations. Son deuxième et troisième projets, respectivement nommés Nautilus et Steam House, sont des références directes à l’univers de Jules Verne. L’inspiration japonaise est explicite, et vous pourrez également trouver diverses références à la pop culture, dans nombre de ses morceaux. Son premier projet sort en 2016, sous le nom de Nekketsu Trap. Malheureusement, je l’ai trop peu écouté, mais je peine à retrouver un bon nombre de sons de ce projet, ainsi je préfère le laisser de côté pour ne pas vous raconter trop d’inepties.

Il est aussi possible d’identifier l’univers de 7 Jaws avec celui des rappeurs américains, proposant de l’emo rap, implicitement dérivé du rock et du métal. Les thèmes abordés sont divers et variés, mais ceux qui reviennent habituellement portent sur la dépression, la solitude, l’anxiété, voire même le suicide. Comme le suggère le morceau « Pourquoi j’pense à la mort ? » présent sur le projet Nautilus :

« J’ai déjà rêvé de rentrer dans un saloon
Buter tout le monde, m’éventrer dans mon salon
Mais j’veux pas finir en salaud
Le bonheur des gens, c’est mon salaire »

Même si de prime abord, ces paroles semblent crues, une explication, proposée par 7 Jaws dans une interview donnée à la RTS, me plaît beaucoup, et je tenais à vous la partager. Selon lui, c’est au bord du gouffre, aux portes de la mort, que le véritable amour de nos proches se manifeste. Comme il le conclut magnifiquement, « j’aimerais vivre mes funérailles un jour avant », simplement pour pouvoir entendre ces paroles si importantes, que l’on prononce souvent trop tard. Raison de plus pour vivre chaque jour au maximum.

Véritable écho au morceau Ré-suicidé, une de mes compositions favorites de 7 Jaws, qui est celle que je vous conseillerai si vous ne deviez écouter qu’un seul de ses sons (même si ce serait dommage que vous ne vous en teniez qu’à celui-là). Ce morceau met en exergue une des facettes de 7 Jaws que j’apprécie tout particulièrement : sa faculté à toucher les coeurs sur des sujets graves. Il met en scène un homme qui, après son suicide, réalise que les raisons qui l’ont poussé à commettre cet acte lui semblent désormais caduques. Mieux encore, c’est un message d’espoir pour les gens qui pourraient se retrouver dans une situation similaire, en indiquant qu’une communication accrue avec ses proches (ou non) sur ces sujets pourraient être une échappatoire à toutes ces pensées morbides.

Le second extrait de Nautilus qui m’a marqué est « Un trait ou une balle ». À mes yeux, il est l’exemple même du type de morceau des premiers projets de 7 Jaws. La technique prévaut, quitte à obtenir un texte plus épuré. Le titre en question sort du lot car l’effet de répétition est plébiscité pour marquer l’auditeur.

Suite à Nautilus, vient ainsi le projet Steam House. Je suis mi-figue mi-raisin sur cet EP (Extended Play) pour être honnête. Je trouve les deux premiers sons d’introduction extrêmement difficiles, dans le sens où les instrumentales choisies ne peuvent être abordées en posant des couplets de manière automatique, mécanique. 7 Jaws fait le job sur ces pistes, mais je trouve qu’il manque un petit quelque chose, pour vraiment obtenir une harmonie parfaite entre la voix et la mélodie. Shadow Boxing, un de mes coups de coeur aussi bien auditif que visuel, vient prolonger le projet. L’album se conclut sur des morceaux où la technique est excellente, mais je reste un peu sur ma faim avec ce projet. Mais pour vous mettre en appétit sans trop vous en révéler, croyez-moi, le meilleur est à venir.

Sort en février 2020 mon projet favori de 7 Jaws, « RAGE ». Comme la couverture de l’album le laisse penser, avec ce chien en train d’aboyer, on pourrait s’attendre à un album rempli de sons agressifs, où Lee aborderait ses morceaux à l’ancienne. Alors, pas totalement. Ce que je vais vous proposer est à prendre avec des pincettes et ne dépend que de mon interprétation de l’artiste. Je considère RAGE comme un projet pilier pour 7 Jaws. La première particularité de RAGE est que le beatmaker de tout l’album est le même, Seezy, un des bras droits du rappeur Vald (si le nom vous dit quelque chose). L’avantage monstrueux, de s’assurer le même beatmaker sur tout un projet, est de conserver une certaine cohérence entre les morceaux. Au fur et à mesure de l’avancée dans le projet, on sent une ficelle directrice, qui maintient la création pour la faire vivre artistiquement.

C’est également la première mixtape qui atteint dix titres, si l’on omet Nekketsu Trap. Je considère que RAGE symbolise l’évolution de 7 Jaws. Le début du projet, avec des morceaux comme Rage et Par ici, rappelle le Lee des débuts, où la performance technique est maîtresse sur la réussite d’un morceau. La suite du projet tend vers le Lee du futur, où il parvient à injecter de plus en plus de ses émotions, de ses sentiments dans les morceaux. Vraie anecdote, à chaque fois que j’écoute la piste « Le vide », je ne peux m’empêcher d’avoir des frissons et de chanter à pleine voix le refrain. Navré pour mes voisins, quand j’ai écouté l’album la première fois vers 4 heures du matin, ils doivent encore s’en souvenir.

Accro et Turbo S sont des succès, que ce soit le titre ou les clips associés. Si je trouve le clip du premier morceau très touchant, celui du second n’a fait que renforcer mon envie de me préparer un voyage au Japon. Tel un conseil à l’auditeur, l’extrait suivant est « Respire », pour nous préparer à ce qui va suivre. Après le son « Block », qui mériterait d’être joué en soirée, « Prochaine fois » vient conclure l’album en apothéose. Ce 7 Jaws, plein de mélancolie, de noirceur, se démarque avec cette rage, et finit par créer un projet plein de punch et d’émotions. Le clip « Par ici » a notamment été réalisé en Irlande, en compagnie des gens du voyage, une communauté vivement critiquée et mise à l’écart. Les images de la vidéo montrent ce côté touchant que j’ai pu ressentir dans les différents projets de 7 Jaws. Mention spéciale au clip « Freestyle Courrier », qui suit la sortie de RAGE. Le clip est réalisé intégralement depuis le domicile de 7 Jaws, confinement oblige. Il est la preuve que l’on peut créer quelque chose d’unique et de marquant, sans pour autant aller au bout du monde.

Le projet suivant se prénomme « Dalton », sorti fin 2020, qui fait alors écho à une année compliquée, et les domaines artistiques n’en sont pas épargnés. Quatre titres, quatre clips, la progression de 7 Jaws est palpable. La critique que je faisais sur Steam House devient obsolète avec le morceau « Shoot ». L’instrumentale est bien plus que délicate, mais 7 Jaws s’y agrippe de manière si convaincante que le pari est réussi.

La couverture de l’EP m’intéresse beaucoup. Là où le rouge et le noir prédominaient sur RAGE, Dalton laisse transparaître un rayon de couleur sur les yeux de 7 Jaws, transition parfaite pour évoquer le dernier projet en date de Lee, « Je vois les couleurs ».

1.9.4-21A

Tout comme Laylow, nous sommes en présence d’un artiste qui a mis plusieurs années à sortir son premier album. Selon moi, RAGE méritait d’être le premier album de 7 Jaws. J’ai deux hypothèses concernant ce choix de ne pas considérer RAGE comme son premier album. La première serait que le nombre de morceaux serait trop faible. Dix reste une quantité acceptable, mais un album de rap actuel tourne vers les quinze morceaux. La seconde serait qu’il souhaitait faire un album « solo ». Comme je vous l’ai indiqué un peu plus tôt, RAGE est un album en coopération avec Seezy. Une grosse partie de la communication du projet s’est faite sur la présence de deux artistes, et il est important de mentionner qu’il est très rare de mettre en lumière les beatmakers sur les projets de rap. Ce détail n’est d’ailleurs pas sans rappeler la mentalité des groupes de métal, où il est plutôt banal de mettre en exergue l’intégralité des membres du groupe, plus que sur le chanteur en particulier.

Il est temps pour moi de vous présenter succinctement « Je vois les couleurs ». Sorti en mai 2021, ce premier « vrai » album sera aussi l’occasion de découvrir quelques duos, et pas des moindres. Le morceau avec Vald, dont je vous encourage à aller voir le clip, est un hommage à l’esprit shonen. J’aime beaucoup les deux individualités, et l’alchimie qui ressort de leur collaboration me fait secrètement espérer de nouveaux morceaux partagés à l’avenir. N’étant pas habituellement un grand fan de BigFlo et Oli, j’étais un peu sceptique sur le morceau avec BigFlo. Quelle erreur ! La collaboration est impressionnante, si bien qu’Oli devrait prendre garde à ce que son frère ne quitte pas leur duo pour créer BigFlo et 7 Jaws (en plus, ça rime !). Plus sérieusement, l’entrée en piste de 7 Jaws sur le morceau est une des tirades qui me feraient avoir les larmes aux yeux en une fraction de seconde :

« J’vais mieux, j’ai mis du temps mais maintenant je sais c’que j’veux
Pour être quelqu’un d’meilleur je fais c’que j’peux
Le mauvais, le bon côté je prends les deux, j’prends les deux
Rien n’est grave, depuis que maman va mieux »

Pour garder un dernier mot sur les participations, même si j’ai moins accroché à celle avec Captaine Roshi, l’aisance entre les duos rend les titres à deux justes, et les concatène dans un ensemble très cohérent. L’amitié entre les duos est palpable dans leur communication sur les morceaux.

L’ultime proposition que je vous ferai sur les musiques de 7 Jaws est d’aller visionner le clip Enfance. Il a été quasi uniquement réalisé à l’aide de vidéos qui illustrent l’enfance de l’artiste, en compagnie de sa famille. À titre personnel, j’ai toujours imaginé les souvenirs d’enfance comme une relique qui atteste de ce qu’on est au plus profond de nous-mêmes. Quand on est enfant, on se préoccupe assez peu du regard des autres, de notre place dans le monde. Ainsi, je vois l’enfance comme l’une des périodes où l’on est le plus honnête envers nous-mêmes, et envers les autres. Le clip, posé sur des paroles tout aussi authentiques, dégage une sincérité qui me touche au plus haut point.

Personnage atypique dans le paysage du rap francophone, j’espère de mon humble article vous aura donné envie d’en savoir un peu plus sur ce rappeur haut en couleurs. Loin des clichés habituels, j’ai pu découvrir ce sarrebourgeois et ses coups de gueule, ses doutes, ses périodes de dépression, mais aussi, davantage avec ses derniers projets, ses moments d’allégresse et d’euphorie. Je vous souhaite de prendre au moins autant de plaisir à écouter du 7 Jaws que j’ai pu en avoir, et que sa sincérité vous touchera autant qu’elle m’a ému.


Cet article est une republication d’un article paru dans l’édition reliée n° 26-27 de Mag’zine, que vous pouvez toujours aller le lire ici.



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