Découverte des cuisines régionales japonaises (partie 1)
Introduction

Vous n’êtes pas sans connaître ma profonde affection pour le pays du Soleil Levant. Et pour tout vous dire, j’étais resté un peu sur ma faim à la suite de mon carnet de voyage : cela me démangeait terriblement de ne pas pouvoir vous en faire découvrir davantage. Je me rattrape donc avec la délicieuse thématique des cuisines régionales japonaises, où nous partirons ensemble à la découverte de leurs spécialités culinaires.
On dénombre quarante-sept préfectures, réparties au sein de huit régions : Hokkaidō, Tōhoku, Kantō, Chūbu, Kansai, Chūgoku, Shikoku et Kyūshū (cette dernière comprenant les îles d’Okinawa). Dans ce voyage des saveurs, je m’efforcerai de restreindre mes choix à une spécialité locale par préfecture.
Je vous invite donc à m’accompagner dans cette succulente excursion, pour nous rassasier : des mets connus les plus emblématiques à ceux beaucoup plus atypiques pour nos palais occidentaux. Nous débuterons par les régions de l’Est du Japon les plus septentrionales pour redescendre vers celles situées à l’Ouest, plus méridionales.
Hokkaidō
Hokkaidō, l’une des quatre îles principales du Japon, sera notre point de départ. Il s’agit aussi de la seule région japonaise dont le nom se confond avec celui de son unique préfecture. La préfecture de Hokkaidō compte pas moins de quatorze sous-préfectures. Aussi, ce serait extrêmement réducteur de ma part de résumer toute la richesse culinaire de l’île à un seul et unique plat.
La série d’articles débute donc à peine que je vais déjà être obligé de faire une exception et de vous présenter non pas une, mais trois spécialités. Ceci afin que vous puissiez découvrir et apprécier les mets de cette région (souvent délaissée par le tourisme) à leur juste valeur.

Le jingisukan (« Genghis Khan ») : aussi étonnant que cela puisse paraître, il s’agit d’un plat à base de viande d’agneau marinée, découpée en lamelles, cuite sur un grill et accompagnée de légumes (choux, pousses de soja, carottes…).
La consommation de viande d’agneau à Hokkaidō (atypique et quasiment inexistante dans la cuisine des autres régions) s’explique par le fait qu’à la fin du 19ème siècle, des élevages de moutons furent créés dans cette région, afin d’y produire intensivement de la laine, sous l’impulsion du gouvernement japonais de l’époque. La population se mit donc à consommer la viande d’agneau et de mouton, issue de leur élevage local.
Le jingisukan doit son nom à l’imaginaire japonais. En effet, le nom Gengis Khan était déjà connu de bien des japonais et l’agneau était réputé pour être un plat de choix des soldats mongols, qui se seraient servis de leurs casques comme d’un ustensile afin d’y faire cuire la viande dessus.
Aujourd’hui, vous trouverez au Japon des poêles en fer forgé spécialement destinées au jingisukan. Elles sont bombées au centre (rappelant la forme d’un casque de soldat mongol) afin d’y cuire la viande, tandis que les contours servent à accueillir les légumes en vue de les faire mijoter dans le jus de cuisson.
L’ika sōmen : c’est une spécialité de la ville de Hakodate, située à Hokkaidō. Ika sōmen signifie littéralement « nouilles de calamar » : c’est un plat rafraîchissant, qui comme son nom l’indique est à base de calamar découpé en fines lanières, rappelant ainsi l’apparence des nouilles de riz. S’agissant d’un type de sashimi, les « nouilles » se dégustent crues, en étant aspirées, et préalablement trempées dans un bol de mentsuyu ou, à défaut, dans un bol de sauce soja, accompagnées de wasabi.

Mais idéalement, on préférera le mentsuyu, car il s’agit d’une sauce spécifiquement conçue pour la dégustation de nouilles froides, composée de sauce soja, d’algues kombu, de katsuobushi, de mirin et de saké : un vrai petit concentré d’umami.
L’ishikari nabe et le sanpei-jiru : pour terminer, je vais abuser encore un peu en vous faisant maintenant découvrir, non pas une mais deux autres spécialités de Hokkaidō. Il s’agit de plats bien distincts, mais assez similaires dans leur composition, car tous deux sont constitués des mêmes ingrédients principaux, à savoir : du saumon, des légumes et d’un bouillon. Ces spécialités sont très appréciées de la population pour faire face aux hivers, souvent très rudes dans la région.
L’ishikari nabe se présente comme une fondue japonaise pouvant être dégustée à plusieurs de manière conviviale. Il se compose de darnes de saumon, accompagnées de tofu et de légumes (chou chinois, shiitake, oignon, pomme de terre…). Au sein d’une marmite, le tout est mijoté dans un bouillon de miso pour être prêt à être servi aux convives.
Le sanpei-jiru est une soupe à base d’abats de saumon (tête, arêtes…), de tofu et de légumes (pommes de terre, carottes, champignons, algues kombu, ciboule japonaise…), servie individuellement avec du shiozake (tranches de saumon salées et grillées). Comparé à l’ishikari nabe, la spécificité du sanpei-jiru vient de son bouillon, ici assaisonné avec du sel et du sake.
Tōhoku
Migrons à présent dans la région de Tōhoku, composée de six préfectures dont nous allons nous empresser de découvrir les trésors de saveurs.
L’ichigo-ni de la préfecture d’Aomori : spécialité originaire de la ville de Hashikami, c’est une soupe composée de coraux d’oursin et d’ormeaux, dressés avec des feuilles de shiso et de la ciboule émincée dans un bouillon aux fruits de mer.
Ichigo-ni signifie littéralement « soupe de fraises » (bien qu’il n’en contienne aucune) et décrit métaphoriquement la couleur rouge de l’oursin, qui se découvre à la surface de son bouillon à l’aspect trouble. Cela fait poétiquement référence à l’image des fraises des bois, embrumées et qu’on aperçoit à travers la rosée du matin (et oui, les japonais ont vraiment beaucoup d’imagination !).
Autrefois considéré comme un repas basique consommé par de modestes pêcheurs, l’image de ce plat a aujourd’hui beaucoup changé. Il s’agit maintenant d’un met de luxe, ayant une signification toute particulière pour les habitants de la région, servi pour célébrer toutes les grandes occasions.
Les wanko soba de la préfecture d’Iwate : les sobas sont des nouilles japonaises élaborées à partir de farine de sarrasin, jusque là je ne pense pas vous apprendre grand chose. En revanche, le terme « wanko » provient du dialecte local de la préfecture d’Iwate et désigne un petit bol japonais en bois.

Il s’agit donc de sobas servis dans de petits bols en bois laqué. Mais qu’y a-t-il de si spécial me direz-vous ? Si la composition du plat est des plus traditionnelles, c’est dans la façon dont les nouilles sont servies que réside toute la particularité. En effet, la quantité contenue dans le bol peut être engloutie en une seule bouchée. Lorsque vous optez pour un wanko soba, sachez que vous relevez en fait le défi d’en manger le plus possible ! Pour les plus voraces d’entre vous, des accompagnements permettront d’agrémenter votre repas.
Au cours de votre dégustation (quelqu’un a parlé de gavage ?), votre hôtesse se tiendra à vos côtés avec un plateau rempli d’une multitude de bols de sobas. Dès lors que vous aurez vidé le vôtre, la serveuse s’empressera de le remplir à nouveau jusqu’à ce que vous n’en puissiez plus et jetiez l’éponge. Pour ce faire, vos paroles, aussi désespérées soient-elles , n’y changeront rien : tout en mangeant, il vous faudra faire preuve de dextérité, en recouvrant votre bol d’un couvercle (prévu à cet effet) avant que ce dernier ne se remplisse à nouveau. Ce n’est qu’à cette condition que sonnera la fin de votre doux supplice.
Le gyutan de la préfecture de Miyagi : le nom japonais de ce plat est plutôt explicite et signifie « langue de bœuf ». Celle-ci est découpée en fines tranches pour être grillée au charbon de bois, puis servie accompagnée de mugi-gohan (riz blanc mélangé avec des graines d’orges), de légumes macérés et d’une soupe de queue de bœuf.

D’après les croyances locales, l’origine de ce plat remonte à l’après-guerre, en 1948, dans la ville de Sendai. A cette période, les bœufs des élevages locaux sont réquisitionnés par l’armée américaine afin de nourrir ses troupes. Un certain Sano Keishirō, propriétaire d’un restaurant de yakitori, s’aperçoit que certaines parties sont délaissées par l’occupant, en l’occurrence les langues et les queues des bêtes. Il décide donc de les valoriser en les cuisinant pour ses propres clients.
D’abord atypique, le plat ne tarde pas à gagner en popularité à travers tout le Japon sous l’impulsion du bouche-à-oreille, porté par les cols blancs en provenance de Sendai.
L’inaniwa-Udon d’Akita : Originaire de la petite ville de Yuzawa, la recette de ces nouilles blanches de qualité supérieure remonte à l’ère Edo, en 1665, où elles furent très prisées par les daimyo (seigneurs de guerre japonais). En comparaison aux udons plus traditionnels, les Inaniwa udons ont la particularité d’être plus fins et de cuire plus rapidement, tout en conservant le moelleux si caractéristique à ce type de nouilles.

Elles peuvent être dégustées toute l’année : soit chaudes, plongées dans un bouillon ou soit froides, à tremper dans un bol de mentsuyu (c’est personnellement le style que je préfère).
L’imoni de Yamagata : c’est une spécialité automnale de la préfecture de Yamagata. La plat est un ragoût composé de taro, de champignons, de poireaux, de tranches de bœuf et de konjac (sous forme de gelée). Les ingrédients sont mijotés dans un bouillon de sauce soja, assaisonné de sucre et de sake. L’imoni se veut être un plat riche en goût, sublimant chacun de ses ingrédients et dont les saveurs se complètent les unes les autres.

L’Imoni Festival de Yamagata a lieu chaque année au mois de septembre. À cette occasion, une marmite géante (d’une profondeur de six mètres) est installée afin de restaurer jusqu’à trente mille participants. Premiers arrivés, premiers servis !
Le kozuyu de Fukushima : il s’agit d’une soupe (encore me direz-vous !) au bouillon clair à base de noix de Saint-Jacques séchées, à laquelle on ajoute des ingrédients découpés en morceaux tels que : des carottes, du taro, des nouilles de konjac, des champignons et du mame-fu (des billes blanches à base de gluten, attention donc si vous êtes intolérants). Le tout est lentement mijoté, puis assaisonné avec de la sauce soja et du mirin.
C’est une spécialité incontournable, préparée et traditionnellement servie dans de jolis bols laqués à l’occasion d’événements, tels que le nouvel an, les mariages ou toutes autres célébrations afin d’attirer chance et prospérité.
Le mot de la fin :
J’espère que cette entrée en matière sur la thématique des cuisines régionales japonaises vous aura donné l’eau à la bouche. En ce qui me concerne, l’écriture de cet article aura bien eu l’effet escompté. D’autant plus que la plupart de ces plats m’étaient inconnus jusqu’ici.
Pour moi, ça a été un réel plaisir de me plonger davantage dans la richesse culinaire du Japon. Mais ma plus grande satisfaction reste quand même d’avoir l’opportunité de vous partager tout cela.
Nous avons été à la rencontre des saveurs des deux régions les plus septentrionales du Japon : Hokkaidō et Tōhoku. Les six régions restantes ne demandent qu’à livrer les trésors gastronomiques de leurs préfectures respectives. Le voyage est encore long, mais j’espère que vous me tiendrez compagnie jusqu’au bout.
Je vous donne donc rendez-vous au prochain numéro, il me tarde de découvrir toutes ces richesses avec vous !
Cet article est une republication d’un article paru dans l’édition reliée n° 26-27 de Mag’zine, que vous pouvez toujours aller le lire ici.

