Shaolin Quan
Quand on discute d’arts martiaux chinois, on pense généralement au Kung-fu ou « boxe chinoise ». Si on parle Kung-fu, on en vient inévitablement à évoquer le Shaolin. Aussi, dans ce numéro, vais-je vous présenter plus en détail ce fameux « Shaolin ». Ce n’est pas un art en soi, mais plutôt une école, un courant de pensée qui a fortement influé sur la conception du wushu en Occident, mais aussi en Orient, issus d’un monastère, édifié vers la fin du Ve siècle sur le mont Song dans la province du Henan.
Contrairement à certaines idées reçues, les moines du Temple Shaolin (少林寺) ne se contentent pas de pratiquer et d’enseigner le kung-fu, mais aussi d’autres arts martiaux et énergétique chinois, tels le tai chi chuan, le qi gong, et d’autres encore, dont je vous parlais dans les précédents numéros, qui en sont d’excellents compléments. Tout ceci est largement dispensé par les moines à leurs disciples à travers le monde, dans un style qui leur est propre, le « Shaolin Quan » (ou « boxe de la jeune forêt »).
Commençons par l’histoire
Selon la légende, ce serait un moine indien, nommé Bodhidharma, au Ve siècle, qui aurait enseigné aux moines les préceptes du bouddhisme, ainsi que les prémices d’un art leur permettant de se défendre contre les brigands, qui serait à l’origine des arts martiaux chinois.
Si les moines Shaolin ont bien accueilli le moine Bodhidharma, ce serait plutôt dans le courant du Xe siècle. Le véritable saint patron du temple était le Bodhisattva Vajrapani, divinité hautement révérée du bouddhisme. Selon l’actuel abbé dirigeant le monastère, Shi Yonxin, ce ne serait qu’après un long processus de changement, intégrant au bouddhisme les préceptes de Confucius et du Tao, que le temple Shaolin aurait adopté une orthodoxie, nommée Chan.
Quant à l’invention des arts martiaux chinois, s’il est attesté que les moines ont participé à des combats dès le VIIe siècle (dynastie Tang), pour se défendre contre des brigands ou joindre leurs forces à celles de l’Empereur, ce n’est bien entendu qu’une légende, puisque les historiens ont retrouvé des écrits relatant ces pratiques datant d’une période antérieure à la fondation du monastère.
Au fil des siècles, le monastère a été détruit et reconstruit de nombreuses fois, certaines tiennent aussi de la légende, car non vérifiées et parfois attribuées à un monastère du Sud portant le même nom. Elles ont néanmoins largement contribué à expliquer la diffusion de l’enseignement des arts martiaux shaolin. La dernière date du début du siècle dernier, en 1928, mais ne sont que les prémices des persécutions dont les moines feront l’objet durant la révolution culturelle.
Depuis, le gouvernement chinois, peut-être sous l’élan mondial pour aider à reconstruire le monastère dans les années 70-80, en a fait l’un des emblèmes de propagande de la culture chinoise, en organisant un festival « Shaolin » tous les deux ans.
Kung-fu en général
Tout d’abord, pour en revenir plus simplement au Kung Fu, je voudrais apporter une petite précision. Généralement, on désigne les arts martiaux chinois, indifféremment sous le terme de « wushu » ou de « kung fu ». Ce terme, dans l’esprit occidental est toujours associé aux « boxes chinoises », mais il n’en est pas la traduction, loin de là. En réalité, l’expression « kung fu » se traduirait plutôt par « ès » ou encore « savoir-faire », en français correct. Il s’agit en réalité d’une spécialisation et d’un certain niveau technique (presque toujours en artisanat) atteint, après avoir suivi un enseignement auprès d’un maître. Un chinois pourrait aussi bien employer ce terme pour désigner un grand chef cuisinier ou même un chef d’orchestre.
Ceci étant posé, je l’emploierai, malgré tout, selon cette interprétation erronée mais usuelle, pour ne pas vous perdre en cours de lecture.
Comme dans tout art martial, la multiplicité des style de Kung Fu est d’une grande richesse, le point commun étant une grand variété de mouvements de coups de poings et de pieds, qui lui a valu cette association à la « boxe chinoise », par analogie avec les mouvements de la boxe occidentale.
Il faut aussi distinguer le Kung Fu du Sud de la Chine, de celui du Nord. Cette dualité millénaire se retrouve jusque dans la pratique des arts martiaux, sans doute liée à des contraintes environnementales également différentes. Le Kung Fu du Nord utilise de préférence des mouvements rapides de pieds, avec de nombreux déplacements, alors que celui du Sud privilégie les coups de poings, laissant les pieds relativement statiques, comme « enracinées » dans les rizières dont les styles sudistes sont issus.
Nous, occidentaux, distinguons également le Kung Fu, en tant qu’art externe, par opposition aux arts internes, tel que le Tai chi chuan. Par analogie encore une fois à la boxe, qui utilise plutôt la force physique et la vitesse, ceci est toujours une interprétation erronée. Même si la fédération française confirme cette distinction, les pratiquants vous diront tous qu’elle n’est qu’apparence, l’enseignement de chaque style d’art martial chinois, même le Kung Fu, est régit par les mêmes grands principes bouddhistes et taoïste, seul l’usage qui en est fait est différent.
Ce que j’apprécie le plus dans le Kung Fu, c’est le nom des styles qui sont toujours très « poétiques ».
En voici quelques exemples :
- « Qi Xing Tang Lang Quan », style de la Mante des Sept étoiles
- « Mimen Tang Lang Quan », style de la Mante de la Porte Secrète
- « Hung Gar », Poing de la famille Hong, souvent appelé « style du tigre noir et de la grue blanche »
- « Zui Baxian Quan », style particulier de « boxe des Huits Immortels Ivres »
La particularité du Shaolin Quan
Si le Shaolin Quan n’est pas l’ancêtre de tous les arts martiaux chinois, il n’en reste pas moins à l’origine des nombreux styles de Kung Fu, par association réelle dans la légende « populaire » des pratiquants. Que ce soit les Kung Fu du Nord qui se disent des adaptations du style du temple Shaolin originel « Bei Shaolin Quan », ou les Kung Fu du Sud qui se veulent des spécialisations du style du Temple Shaolin du Sud « Nan Shaolin Quan », tous sont d’accord pour dire que l’origine de leur art vient du grand principe Shaolin de boxe des animaux (Tigre, Grue, Ours, Singe, Léopard et parfois Dragon et Serpent) et des cinq éléments fondamentaux (eau, feu, bois, terre, métal). Ou par association supposée, pour quelques styles qui pensent ne pas pouvoir survivre sans cette aura légendaire.
Les moines du monastère Shaolin recrutent parmi les meilleurs jeunes des différentes écoles d’arts martiaux environnantes et les forment sur une période de deux à quatre ans, à leur propre style de combat, mais aussi à la méditation, afin d’en faire des moines accomplis, selon une discipline stricte.
Réveil à 4 h du matin pour la méditation et l’entraînement à la pratique jusqu’à 7 h, puis participation à la vie du monastère : agriculture, recevoir les touristes, etc. et reprise des entraînements le soir de 19 à 21 h ou de 20 à 22h selon la saison. À l’issue de cette formation, les jeunes moines choisiront leur voie : purement bouddhiste, ou moine combattant. Les meilleurs moines combattants feront alors partie des tournées mondiales, organisées sous « protection » du gouvernement chinois.
L’enseignement originel du Shaolin Quan comprenait plus de sept cents mouvements, de prise de mains et d’armes, mais nombre de ces techniques se sont perdues au fil du temps et des aléas connus par le monastère. Aussi, de nos jours, les bons moines n’enseignent plus qu’environ deux cents mouvements pour la forme de leur style.
Comme d’autres styles, les techniques du Shaolin Quan sont basées sur les quatre fondamentaux : coup de pied, coup de poing, projection et clés de blocage/immobilisation. Ces techniques sont étudiées en prenant en compte le principe du Yin et du Yang, qui est l’essence même de tous les arts martiaux chinois. Pour cela, ils étudient, par la pratique mais aussi la réflexion, différents « sujets » d’apparence opposés mais intrinsèquement inséparables : avance/retraite, attaque/défense, action/calme, rapidité/lenteur, force/douceur, emplir/vider, soulever/enfoncer, etc.
L’exécution de la forme Shaolin Quan se fait seul ou à plusieurs, chacun à son propre rythme ou bien contraint de s’adapter en permanence aux rythmes des autres. Mais, toujours, la forme doit s’exécuter sans temps d’arrêt, en gardant à l’esprit, la fluidité des mouvements et la connexion entre eux et ceux de l’adversaire.
L’entraînement Shaolin se décompose aussi en huit grands exercices fondamentaux, méthodes externes et internes (je m’excuse par avance de la traduction français approximative, mon anglais étant très scolaire) :
- Le poing de la comète (quan ru liu xing)
- Les yeux rapides comme l’éclair (yan si dian)
- La taille/torse souple comme le serpent (yao-shen- ru ser xing)
- Le jeu de jambes digne du bâton (bu sai nian)
- Ressentir son Esprit/Essence (jingshen yao chong pai)
- Creuser son Qi (qi yi chen) – « Qi Yi » est intraduisible, mais cela pourrait se dire « canal où circule l’énergie interne » pour vous donner une image de ce que cela représente (merci à mon professeur de taii quan qui nous le répète assez souvent)
- La puissance doit atteindre la cible facilement (li yao shun da)
- Purifier son savoir-faire (gong yi chun)
Ne vous fiez pas à la « poésie » des noms de ces exercices ! Dans la pratique, ils demandent un grand engagement de soi et surtout un incroyable courage et de la persévérance. Pour ne vous citer que quelques exemples « concrets » :
- exercice statique, bras écartés lestés d’un poids, dans la position du cavalier
- travail des enchaînements sur poteaux de bois, ces poteaux situés à 40 cm du sol pour les novices peuvent culmine à plus de 2 mètres pour les plus aguerris
- monter/descendre à quatre pattes d’interminables escaliers.
L’enseignement des moines ne se limite pas au seul « kung fu » dans l’acception « boxe » mais à nombres de styles internes tels le « Qigong » ou le « Taiji quan », mais aussi des « spécialisations » du style externe avec le « Baiji Quan », le « TangLang Quan », etc…
Comme tout art martial, et cela explique aussi la multiplicité des styles que l’on peut rencontrer, le Shaolin Quan est un art qui évolue en permanence, soit par la réflexion collective, soit par la pratique et réflexion individuelle qui vont influer sur le collectif ou pas. Si les mouvements changent peu en apparence, leur mise en application peut différer selon les circonstances.
Où le pratiquer ?
Ne vous découragez pas, si le Shaolin Quan vous intéresse, vous n’aurez pas besoin de vous faire bouddhiste, de pratiquer la tonsure ou d’émigrer en Chine… Les moines dispensent largement leur enseignement sur les cinq continents, et si vous n’êtes pas proche d’une école Shaolin classique, vous trouverez certainement une autre école dont le professeur est un disciple des bons moines, et surtout dont l’enseignement est plus « soft » que la stricte discipline des moines.
Attention, cependant, de nombreuses écoles se réclament de style Shaolin, mais c’est plus par osmose avec le vaste courant publicitaire généré par la tournée des moines Shaolin, ou parfois, parce que cela marque bien plus l’esprit, tout comme le terme de « wushu » ou de « kung fu », employé à tort et à travers. Cependant leurs enseignements restent valables, tout dépend ce que vous cherchez réellement.
Je vous conseille donc d’explorer les possibilités par le biais de la Fédération de wushu qui liste normalement toutes les écoles, et la plupart possède un site où le style pratiqué est clairement nommé. Généralement, les « vraies » écoles Shaolin enseignent aussi bien le Kung Fu que le Tai Chi Chuan, et quelques autres styles chinois, mais à l’exclusion de tout autre art d’origine non chinoise.
Shaolin Quan au 7ème art
Je ne pouvais pas conclure sans vous parler de la mise en valeur du Shaolin Quan grâce au septième art ! Les fans d’arts martiaux ont certainement tous vu le fameux « Nan bei Shao Lin » ou « Arts martiaux de Shaolin », sorti en 1986, avec le nom moins célèbre Jet Li.
Mais connaissez-vous le film plus récent « Shaolin, la légende des moines guerriers » (Xin Shao lin si), avec Jacky Chan, sorti en 2012, qui retrace la vie d’un seigneur de la guerre dans les années vingt du siècle dernier. Ou encore, « Temple Shaolin 1 et 2 » sortis dans les années 80 et toujours avec Jet Li.
En réalité, la liste est bien trop longue, une petite recherche avec simplement l’entrée « moine shaolin » vous renverra à 21 films. Et si vous vous contentez de taper « Shaolin », vous atteignez les 51 films dont quelques versions « amusantes » telles que « Shaolin Basket » (que j’ai vu, le scénario est très léger mais que de belles acrobaties) ou « Shaolin Soccer ».
Sans compter que le courant « Shaolin » a fortement influencé le cinéma chinois, et nous le retrouvons peu ou prou dans presque tous les films d’arts martiaux de cette origine. Je ne parle même pas des films occidentaux ciblés arts martiaux ou simplement combats, qui souffrent de l’image erronée, que nous avons sur le « wushu » en général et le Shaolin Quan en particulier, et qui nous inondent de « Shaolin » à toutes les sauces.
Si vous êtes fan d’arts martiaux et du Shaolin Quan plus particulièrement, réjouissez-vous ! On nous annonce un remake du « Temple Shaolin » par Justin Lin, prévu pour 2017.
Parce qu’il faut bien conclure…
Si vous n’êtes qu’un simple fan et pas pratiquant du tout d’arts martiaux, vous pouvez également visiter le Temple Shaolin, reconstruit dans la province du Henan (bon, je reconnais, il faut les moyens de faire le voyage), ou simplement assister à l’une de leurs tournées de démonstrations bisannuelles (c’est déjà plus abordable).
Je vous aime bien et discuter, sur un sujet qui me passionne, est toujours une grande joie, mais je vais devoir vous quitter pour cette fois. Je vous dis à bientôt pour un prochain article sur les arts martiaux…
Cet article est une republication d’un article paru dans l’édition reliée n° 10 de Mag’zine, que vous pouvez toujours aller le lire ici.