Ôoku (大奥) – Le Pavillon des Hommes
Pour ce numéro, je vais vous faire voyager à travers l’Histoire avec cette uchronie savoureuse qu’est « Ôoku » de Fumi Yoshinaga. Initialement paru dans le Magazine Melody, des éditions Hakusensha, il est présenté en France par les éditions Kana. La série comprend pour l’instant* onze tomes.
À l’origine, « Ôoku » désigne le « Pavillon des Femmes », véritable sérail du château d’Edo, où logeaient l’épouse, les concubines et la mère du Shogun. Fumi Yoshinaga nous narre ici l’histoire du Shogunat Tokugawa, mais selon une perspective assez amusante, pour ne pas dire intéressante.
Le synopsis
Japon, début de l’ère Edo. Une étrange maladie arrive des montagnes, ne touchant que la gent masculine. Elle est nommée « variole du Tengu », à cause des marques qu’elle laisse sur le corps de ses victimes. En quelques années, l’épidémie s’étend à tout le Japon, décimant la population masculine. Les hommes deviennent alors des « denrées » précieuses, chaque enfant mâle est élevé soigneusement, en espérant qu’il atteigne l’âge adulte. Ils finissent par devenir de simples étalons que s’échangent à prix d’or les femmes les plus aisées, la proportion des hommes n’atteignant plus qu’un quart de la population totale du Japon. Par la force des choses, les femmes se sont mises au travail, en plus d’assurer la descendance, elles ont également pris en charge la gestion et la gouvernance du pays.
L’histoire
L’histoire débute à l’époque de transition entre le septième et le huitième Shogun Tokugawa, qui sont des femmes. La variole du Tengu frappe le Japon depuis près d’un siècle, et le « Pavillon des Hommes » est l’ultime honneur pour tout jeune mâle ambitieux. Mizuno Yunoshin réussit à se faire accepter dans ce sanctuaire d’où il n’est plus censé ressortir.
Lorsque Yoshimune Tokugawa accède au pouvoir, elle choisit Mizuno pour en faire son « concubin secret », le « premier amant » du Shogun. Il devra être exécuté à l’issue de cette première nuit, comme le veut la règle du Pavillon.
Le tome suivant nous transporte aux débuts de l’épidémie. Si la population masculine est la seule touchée, la dominance des hommes est bien ancrée dans les mœurs. Lorsque la première femme suggère de travailler dans les champs pour assurer la subsistance du village et de la famille, elle soulève l’indignation des anciens.
Mais les paysans ne sont pas les seuls touchés, le shogunat subit les mêmes revers, et Dame Kasuga, ancienne nourrice et Grande Intendante du Pavillon des Femmes, doit s’assurer qu’Iemitsu Tokugawa, troisième du nom, conçoive un héritier.
En réalité, le Shogun est déjà mort et c’est sa fille bâtarde, que Dame Kasuga a faite enlever et qu’elle éduque pour qu’elle remplace Iemitsu, déguisé en garçon, en attendant qu’elle donne une descendance au shogunat. Pour se faire, elle séquestre un jeune moine, Arikito, intelligent, noble et très beau, pour le convaincre d’entrer au Pavillon et servir le Shogun.
Si Arikito finit par céder aux menaces, il va également convaincre Iemitsu, de prendre réellement part au pouvoir. A la mort de Dame Kasuga, le Shogun Iemitsu Tokugawa sera le précurseur d’un changement radical de la société japonaise et contribuera à stabiliser le pays.
Avec Le Pavillon des Hommes, vous découvrirez toute la complexité des différents complots politiques, à l’extérieur comme à l’intérieur du château d’Edo. Les luttes de pouvoirs internes au Pavillon foisonnent également : pour gagner le cœur du Shogun et surtout son corps, afin d’être le père du futur héritier (ou plutôt de la future héritière), et ainsi avoir une main mise sur le pouvoir shogunal ; les « churo » luttent aussi pour diriger le Pavillon et obtenir l’honneur suprême d’en être le Grand Intendant, qui est souvent l’un des plus proches conseillers du Shogun.
Vous découvrirez aussi quelques pratiques, somme toutes inévitables, soit homosexuelles, soit d’une grande perversité, au fil des générations qui se suivent au Pavillon. Car de nombreux shoguns se succèdent et toutes sont différentes. Certaines sont même extrêmement jeunes et ne s’intéressent donc pas encore aux hommes. Il faut donc que ces messieurs s’occupent, et que se passe-t–il quand vous enfermez plusieurs dizaines, voire centaines, de mâles virils dans un lieu où nulle femme n’apparaît, hors le Shogun ?
Au fil des tomes, vous pourrez donc suivre les différents shoguns Tokugawa dans cette uchronie qui respecte quelques faits historiques ou légendes, tout en transformant leur nature pour coller à l’histoire. Par exemple, le « Sakoku », politique d’isolation du Japon, n’est institué que pour dissimuler la terrible épidémie qui frappe le pays au reste du monde.
Ou encore, la légende des « 47 Ronins » ne naîtra que suite à une stupide agression d’un daimyo féminin, par l’un des rares daimyos mâles. Ce qui constituera, pour le Shogun de l’époque, un excellent prétexte afin d’évincer définitivement les hommes du pouvoir, en leur aliénant le droit à l’héritage de biens ou de titres.
La mangaka
Fumi Yoshinaga a débuté sa carrière avec un manga yaoi (romance entre hommes), Tsuki no Sandaru, en 1994. Elle dessine et scénarise essentiellement des mangas shojo, shonen-ai et yaoi.
Elle a d’ailleurs créé l’une de mes histoires favorites : Antique Bakery, une intrigue policière sur fond gourmand de pâtisseries, saupoudrée d’une petite touche yaoi sans prétention. Elle adore mélanger les genres et, elle le fait avec une grande finesse et beaucoup de délicatesse.
Sa vision du « pouvoir des femmes » dans Le Pavillon des Hommes est vraiment intéressante, car elle transmet la « sagesse » féminine, tout en explorant l’ensemble des forces et faiblesses de la nature humaine, sans distinction de sexe. Elle réussit à raconter toute la perversion ou la folie humaine, sans tomber dans la vulgarité, elle dessine l’amour platonique ou charnel avec un trait digne des estampes japonaises.
Le Pavillon des Hommes a d’ailleurs reçu le Prix Spécial du Jury au Sense of Gender Awards, à sa création en 2005. En 2011, il est récompensé par le Prix Shogakukan, dans la catégorie Shojo.
Les adaptations
E n 2010, une première adaptation sort en film, réalisé par Fuminoki Kaneko et scénarisé par Natsuko Takahashi, relatant l’arc du premier tome. Son directeur artistique, Hidefumi Hanatani, est nommé aux Nippon Akademī–shō. Le film est déconseillé au moins de 16 ans.
En 2012, Fuminoki Kaneko adapte la suite du manga en réalisant d’abord un drama « Ooku Tanjou », qui débute à partir de l’histoire d’Iemitsu et Arikito. Il réalisera également en film, intitulé « Ooku : Eien – Emonnosuke. Tsunayoshi Hen », qui s’intéresse à l’arc suivant du Pavillon des Hommes.
N’ayant réussi à trouver aucune de ces adaptations en VF ou VOSTFR avant la parution du Mag’zine, je m’arrêterai là sur ce sujet.
Pour conclure
Je vous avouerai que je comptais vous présenter un tout autre manga pour ce numéro, mais lorsque j’ai découvert « Le Pavillon des Hommes », je l’ai littéralement dévoré, au grand dam de mon porte-monnaie.
Ce qui m’a attiré tout d’abord, c’est le principe même de l’uchronie, ensuite le style du dessin qui est vraiment soigné, comportant de nombreux détails, sur les kimonos et les décors entre autres. C’est aussi une façon amusante de visiter l’Histoire, même si elle est déformée, car Fumi Yoshinaga s’appuie malgré tout sur les faits historiques pour structurer sa narration. J’avouerai aussi que l’ère Edo est une période qui m’intéresse beaucoup et, les intrigues d’alcôves sont toujours plus croustillantes à lire et donnent un côté « vivant » lorsqu’on visite le passé.
Le Pavillon des Hommes est destiné à un public déjà mature, si les scènes de sexe sont esquissés avec une grande pudeur, l’histoire n’en reste pas moins violente : on y voit des décapitations, des « seppuku » (suicide traditionnel), des meurtres, des séances de tortures, et j’en passe. Elles sont cependant dessinées avec réalisme, sans exagération sanguinolente. On y parle aussi de fornication, de sodomie, de meurtres, etc… Bref, ce manga n’est pas pour tout le monde, mais saura malgré tout satisfaire l’esthétisme de la plupart.
Cet article est une republication d’un article paru dans l’édition reliée n° 13 de Mag’zine, que vous pouvez toujours aller le lire ici.
*Le manga est terminé avec 19 tomes.