Dan Simmons, auteur atypique.

Chères lectrices, chers lecteurs, j’ai choisi de vous parler dans ce numéro de Mag’zine d’un auteur que j’ai découvert voilà quelques années déjà et que j’apprécie énormément, même s’il n’est pas français : Dan Simmons, un auteur atypique…

Vous allez dire, encore un ! Oui, c’est vrai, j’aime les gens qui sortent de l’ordinaire et c’est encore plus vrai avec les écrivains.

Dan Simmons, quant à lui, est un grand maître de l’écriture et surtout de l’horreur. C’est simple, ses histoires me font plus frémir que celles de Stephen King, qui pourtant a bercé mon adolescence. Mais commençons par le commencement….

Dan Simmons, l’homme avant l’auteur

Dan Simmons est né le 4 avril 1948, à Peoria dans l’Illinois. Il a poursuivi des études supérieures à l’Université Washington, à Saint-Louis (Missouri) qui l’ont mené à faire carrière dans l’enseignement à partir de 1971.

Son amour de la littérature, mais surtout de l’écriture, est partie intégrante de sa personnalité. Et cela se retrouve indéniablement dans ses propres écrits, mais nous y reviendrons plus tard. Dan Simmons dispensera donc, à partir de 1971, des cours de littérature principalement à des collégiens, durant dix-huit ans. Il apprend à ses élèves comment décrypter les différentes œuvres : trouver les sources, deviner l’esprit derrière la lettre, comprendre les intentions réelles, cachées ou affichées, de l’auteur.

Il anime par ailleurs des ateliers d’écriture pour ses étudiants, leur enseignant à rechercher sur différents supports leur inspiration, mais également comment évaluer leur propre capacité à écrire et pour quel public. Accessoirement, bien d’autres auteurs se livrent à ce genre d’exercice, comme Bernard Werber dont je vous ai déjà parlé avec ses Master Class, mais peu ont débuté par là.

Dan Simmons considère l’écriture comme une fin en soi, soit on a le feu sacré, soit on ne l’a pas, mais rien n’empêche de le chercher. Il fait d’ailleurs souvent référence aux auteurs grecs pour expliquer cette image, cette muse capricieuse et cruelle qui s’empare des auteurs lorsqu’ils écrivent, les abandonnant parfois en cours de route, ou ne les quittant jamais et les pliant sous son joug brûlant.

Dan Simmons est un passionné, il diffusera longtemps cette passion au travers de son enseignement, et cherchera toujours à s’améliorer dans son rôle. C’est d’ailleurs en participant à un atelier d’écriture animé par Harlan Jay Ellison, un autre grand nom de la littérature américaine et scénariste pour des grands titres de la science-fiction (Au delà du réel, Star Trek, Sixième Sens, etc.), que Dan Simmons, sur ses encouragements, va finalement sauter le pas et diffuser ses écrits dans les années quatre-vingt.

Dan Simmons, l’écrivain

Sur les conseils de Harlan Ellison, Dan Simmons va s’inscrire au concours de Twilight Zone Magazine, avec une nouvelle : Le Styx coule à l’envers, en 1982 et remportera le premier prix. C’est l’avènement d’une carrière fructueuse, qu’il mènera de prime abord en parallèle avec l’enseignement.

Dan Simmons privilégie d’abord ce qu’il comprend le mieux et donc ce qu’il retranscrit le mieux, c’est-à-dire la psychologie des personnages. Il sait aussi bien créer un climat angoissant, horrifique, ou particulièrement insolite qu’il décrit l’état mental de ses protagonistes, et leur réaction face à leur situation.

Il s’inspire aussi bien de son propre vécu, que de l’Histoire, ou même la littérature dans son acception la plus large. Il explore ces souvenirs et son immense culture en les transposant dans ses romans pour faire frémir ses lecteurs. Il ne manque pas d’ajouter des éléments fantastiques à ses récits, ce qui le mène inévitablement à la science-fiction et à l’horreur. Il tient enfin là son style propre qui le mènera à l’apogée de sa carrière d’écrivain.

Chacun de ses romans contient, à divers degrés, un élément bien ancré dans le réel, ce qui leur donne une dimension plus poignante pour le lecteur. Mais aussi, une ou plusieurs références à des auteurs classiques, soit directement dans la trame du récit, soit par des ajouts dans le déroulement de son histoire qui viennent parfaitement s’imbriquer au tout. Dan Simmons possède d’ailleurs à un très haut niveau l’art alambiqué de nouer ensemble des éléments qui n’ont, a priori, rien à voir et cela fonctionne merveilleusement bien. Je vous donnerai plus loin quelques exemples plus précis.

Avant d’avancer plus en détail sur son oeuvre, je tiens à préciser que je ne suis pas la seule et, certainement pas la dernière, à témoigner du talent d’écrivain de Dan Simmons. Il a reçu au fil des années de nombreuses récompenses, de prix littéraires prestigieux : Prix Hugo (1990), Prix Locus (douze au total entre 1990 et 2004, en horreur comme en science-fiction, ou simplement en écriture), Prix World Fantasy (1986 & 1993), Prix Bram Stocker (1990, 1992-1994), Prix British Fantasy (1990), Prix British Science-fiction (1991), Prix Theodore-Sturgeon (1993), International Horror Guild Awards (2003 & 2008), Grand Prix de l’Imaginaire (1996), Prix Ozone (1999), Prix Comos 2000 (1992), Prix Seiun (1995, 1996 & 1999), Prix Bob-Morane (2009), Prix Ignotus (1991).

Comme vous pouvez le remarquer, même si je ne l’ai pas encore précisé, Dan Simmons est autant apprécié aux États-Unis qu’à l’international, y compris en France donc. Certes, parmi ces nombreux prix, certaines œuvres reviennent de façon récurrente, mais c’est inévitable quand on aborde des textes puissants. Et c’est amplement mérité, vous allez voir.

Un aperçu de son talent

Au moment présent, je suis bien obligée d’avouer ne pas avoir réussi à lire une bonne partie de ses œuvres, plus par manque de courage de ma part, que par manque de style de la part de Dan Simmons.

En effet, je suis affligée d’une imagination débordante et, avec des textes aussi puissants que ceux de Dan Simmons, cela me joue parfois de très vilains tours. Un petit exemple pour vous situer mon handicap en la matière, avec Terreur, un roman a priori d’aventures, inspiré d’une histoire arrivée en 1845 à un explorateur du Grand Nord, Sir John Franklin et ses hommes, dont les navires, l’Erebus et le Terror, ont été piégés par la glace lors de la longue nuit polaire.

C’est une histoire de survie avant tout, dans des conditions extrêmement rudes, qui se prête déjà à nombre de spéculations sur le moral et surtout la stabilité psychologique de ces hommes. Et Dan Simmons y introduit deux éléments perturbateurs qui font monter rapidement le niveau d’angoisse : une indigène muette, Lady Silence, que les marins vont recueillir tout en se méfiant d’elle, et une mystérieuse créature qui rôde sur la glace et autour des vaisseaux.

Imaginaire ou réelle, il faudra aller au bout de l’histoire pour le savoir, ce dont j’ai été incapable. Surtout, connaissant la réelle fin déjà tragique de ces hommes, je n’ai pas pu dépasser les premiers chapitres tant j’avais de suées froides… Risible peut-être, mais un peu trop réel pour moi, si j’arrive un jour à finir ce livre, je reviendrais pour vous en dire plus.

Un autre roman puissant, que je n’ai toujours pas réussi à ouvrir, est l’Échiquier du Mal (plusieurs fois primés) et pourtant, l’histoire me tente par dessus tout, car elle réunit divers éléments dont je me délecte généralement.

L’époque est contemporaine (ou presque), avec des survivants de la Seconde Guerre Mondiale, à la poursuite de bourreaux nazis. Et là encore, Dan Simmons ajoute une dimension fantastique à une trame très classique par ailleurs, en introduisant des vampires psychiques dans son histoire. Ces personnages tireraient les ficelles de l’Histoire, se livrant à une guerre sans merci comme on mène un combat d’échecs de haut niveau, en manipulant l’esprit des pauvres humains que nous sommes. Pour cette histoire, dès que je serai remise de ma « Terreur » précédente, promis, je reviens pour vous mettre encore plus l’eau à la bouche.

J’ai donc dû me contenter pour l’instant de « très sages » récits de science-fiction (notez bien les guillemets, car ça décoiffe !) et je vais tenter de vous donner envie de vous y plonger à votre tour. Avec ses cycles des Cantos d’Hypérion (quatre récits divisés en deux époques), Dan Simmons a remporté de très nombreux prix, mais il a également reçu une récompense pour Illium et Olympos (un bel hommage à l’oeuvre d’Homère).

Les sagas d’Hypérion

La première époque des Cantos se déroule dans un futur très lointain, l’humanité s’est divisée en deux civilisations distinctes : l’une « planétaire », régie par l’Hégémonie, et l’autre extra-planétaire (dans des stations spatiales donc), dont le peuple est nommé Extros, par les planétaires. Dans ce futur, les Intelligences Artificielles ont gagné une grande puissance et sont totalement hors de contrôle des hommes, même si elles semblent assez bienveillantes et serviables.

L’histoire quant à elle se déploie sur et autour de la planète Hypérion, noeud de différents enjeux entre les civilisations humaines, mais aussi extra-humaines, d’où les titres : Hypérion et la Chute d’Hypérion. Ici, on s’attendrait à de la science-fiction pure, avec les stations spatiales, les vaisseaux et autres hautes technologies pour voyager d’une planète à l’autre. On note également un gros clin d’œil à Asimov, et toute la psychose anti-robot fait rapidement surface, avec des IA un peu trop mielleuses, mais surtout une mystérieuse créature robotique et sanguinaire, le Gritche, qui fait régner la terreur sur Hypérion.

Et pourtant, on plonge délicieusement, avec les Cantos, dans l’archaïsme et on s’apprête à voguer tranquillement avec les personnages principaux, lors d’un pèlerinage sur une barge « moderne », mais qui rappelle grandement la remontée du Nil au temps des pharaons. En effet, Hypérion abrite les Tombeaux du Temps, qui interdisent, par leur particularité, tout usage technologique à leur proximité. Mais au fil du voyage, l’angoisse monte peu à peu avec le Gritche qui s’invite quand il veut et la disparition progressive des membres de l’expédition.

Cette époque se termine en grand affrontement final entre les différentes puissances en présence, où les pèlerins survivants ont également un grand rôle à jouer. Et croyez-moi c’est une véritable apothéose, comme si l’angoisse très savamment et lentement construite, compressée à l’extrême tout au long de l’histoire, explosait littéralement d’un coup.

Une nouvelle époque se déroule durant l’ère de la Pax, une paix unificatrice régie par une religion surpuissante, bien après la Chute d’Hypérion, avec les voyages d’Endymion. L’histoire, ici, est plus centrée sur le personnage de Raul Endymion, natif d’Hypérion, et de sa compagne, Énée, jeune fille très spéciale, qui commande au Gritche.

Avec cette histoire, on pourrait se croire dans une belle aventure romantique, mais il n’en est rien. Ce climat « pacifié » est sensiblement trompeur et cache de sombres projets qui visent à l’esclavage total de l’humanité, dont la jeune Énée est le seul rempart. Avec cette nouvelle époque, on découvre que les IA sont divisées en deux « civilisations », dont l’une est plus qu’agressive sous des dehors doucereux, et l’autre extrêmement « sauvage » mais ô combien sophistiquée et subtile.

Endymion est à la base le tuteur d’Énée, avant d’être son compagnon de vie. Et il va devoir consentir à bien des sacrifices et surtout surmonter un grand nombre de dangers pour atteindre un bonheur, qui peut s’avérer bien éphémère. De son côté, Énée lutte pour échapper aux membres dirigeants de la Pax et répandre le remède qui libère les hommes de leur joug.

Dan Simmons insère, tout au long des Voyages, de subtils indices sur la menace grandissante qui plane sur ses personnages (mais est aussi d’actualité) : l’uniformité des mentalités, l’absence d’originalité ou de curiosité, le totalitarisme mènent à l’extinction de la race humaine.

Ilium et Olympos

Avec ces deux romans, Dan Simmons rend un merveilleux hommage à l’Iliade et l’Odyssée, tout en les transportant dans une époque future, mais limitée à notre seul système solaire. Il y ajoute pour pimenter le tout une autre touche d’Asimov, (plus optimiste cette fois, enfin presque) et marie ces délicieux ingrédients très anachroniques, en incorporant à sa recette certains personnages du très imaginatif Shakespeare.

L’histoire démarre dans une pseudo Antiquité, où un scholiaste, clone d’un professeur de notre époque moderne, nous raconte la guerre de Troie. Il s’assure que l’Iliade se déroule conformément au texte d’Homère, et possède quelques gadgets, donnés par les « dieux » pour se mêler aux hellènes comme aux troyens, avant de regagner ses pénates au pied du Mont Olympe… sur Mars. Jusque là, tout va bien, mais cela pourrait devenir monotone me direz-vous ? Pas d’inquiétude, ce n’est que l’apéritif !

Très rapidement, Huckleberry, notre scholiaste, va décider de mettre son grain de sel dans l’histoire antique. Ah, la belle Hélène, sensuelle, envoûtante… et passablement dangereuse ! D’autant plus, que les « divinités » se livrent une guerre farouche pour rendre son camp favori victorieux, et l’une d’entre elles va confier à Huckleberry des « jouets » divins, dont il va abuser allègrement pour prendre la poudre d’escampette, tout en retournant les grecs contre leurs dieux.

En parallèle à ces esclandres antiques et théistes, nous retournons sur Terre où l’humanité s’est là aussi divisée en deux civilisations, dont l’une a abandonné la Terre pour partir « on ne sait où ». Nous retrouvons des humains « à l’ancienne » (simili de nous, hommes modernes), vivant presque comme au Moyen-Age, mais voyageant d’un lieu à l’autre grâce à des portails, entourés de Voynix et autres servants robotiques. Cette humanité à l’ancienne se limite à une très faible population, un millier, et suit distraitement les péripéties troyennes grâce à un « voile », nommé Turin.

Quatre d’entre eux vont se lancer dans une aventure pour retrouver la Juive Errante, légende d’une survivante d’une époque révolue depuis près de mille ans, et rencontre Odysseus, l’un des héros hellènes en chair et en os, mais plus vieux, il a déjà vécu son Odyssée.

Passons au piment et au miel…. Dan Simmons ne se contente pas de mêler allègrement les époques, et les genres… Les aller-retour des « dieux » olympiens et de leurs scholiastes se font grâce à des « téléporteurs » quantiques, ce qui provoque l’intérêt et l’inquiétude de robots très évolués, les Moravecs, basés au delà de la ceinture d’astéroïdes. Ceux-ci décident d’envoyer une mission d’exploration pour comprendre cette débauche « quantique » qui menace tout le système.

Ils n’ont plus aucun contact avec l’humanité depuis fort longtemps, mais gardent, dans leurs programmes, une véritable d’obsession pour l’œuvre humaine et, notamment littéraire. L’un des membres de l’expédition est passionné par Shakespeare, tandis qu’un autre se spécialise sur Marcel Proust et sa « recherche du temps perdu ». L’expédition tourne mal dès l’approche de Mars, car les « dieux » martiens les foudroient sans sommation et seuls deux d’entre eux vont réussir à « amerrir » sur Mars et seront secourus par des PHV (Petits Hommes Verts). Voilà pour le miel avec ses clins d’œil à Asimov et Bradbury.

Outre passant l’imaginaire, Dan Simmons va faire évoluer tous ses protagonistes dans un univers où certains personnages de Shakespeare : Prospero, Cerebros, etc. se sont bel et bien incarnés. Et la gentille petite histoire multi-temporelle va doucement tourner au cauchemar. Huckleberry, le scholiaste rebelle, nos aventuriers terriens et nos petits robots vont devoir affronter le monstrueux Cerebros, cerveau géant monté sur une multitude de mains, qui se nourrit de la souffrance des êtres. Et les humains « à l’ancienne », les humains « modernes » et les humains antiques vont devoir apprendre à coexister ensemble, mais aussi avec les « moravecs ». Et voilà pour le piment !

Et les dieux du Mont Olympos ? Là, je vous laisse lire ces romans pour découvrir ce qu’ils cachent, chaque élément du récit est si étroitement imbriqué que je n’ai peut-être pas rendu justice à Dan Simmons, mais c’est un véritable régal à parcourir (et je l’ai fait plusieurs fois !).

Pour conclure

Dan Simmons ne se résume pas à ces seuls titres, mais il a tant écrit qu’il faudrait une éternité pour parcourir toute son œuvre. Ce sont pour moi les titres qui m’ont le plus attirés, même si je n’ai pu lire en entier que les deux épopées de « science-fiction ». Et l’expérience a été tellement enrichissante !

Dan Simmons a cette capacité hallucinante de marier son immense culture littéraire à des histoires toutes plus époustouflantes les unes que les autres. Et Ilium et Olympos sont assurément ses plus belles réussites, à mon sens, mais peuvent en faire fuir quelques uns avec ce mélange « gargantuesque » de genre.

Les friands de cultures et connaissances en tout genre vont pouvoir s’offrir un sublime festin avec Dan Simmons.


Cet article est une republication d’un article paru dans l’édition reliée n° 25 de Mag’zine, que vous pouvez toujours aller le lire ici.



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Tricoteuse de chiffres IRL. Garde & Petite Main du Mag'zine. Animatrice du Divan dit Vent. Phrase fétiche : « Puissiez-vous vivre des moments intéressants »

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