Daft Punk
Si Jean-Michel Jarre et Vangelis peuvent être identifiés aux « pères » de la musique électronique, j’affirmerais, sans chauvinisme partial, que Thomas Bangalter et Guy-Manuel de Homem Christo en sont les fils spirituels et, les moteurs incontestables de l’électro occidentale, voire l’inspiration pour leurs homologues asiatiques.
Qui donc ? Si les plus avertis parmi vous m’ont déjà comprise, je me dois de préciser (mais est-ce bien nécessaire) qu’il s’agit des membres du groupe internationalement connu, Daft Punk, véritable institution de la musique électro depuis plus de vingt ans.
Exceptionnellement donc, je vous parlerai dans ce numéro, d’un groupe qui transcende les générations et n’a pas vieilli d’un iota, sachant se « régénérer » régulièrement sans perdre la flamme qui a construit le succès de ses débuts.
Des débuts fulgurants
Thomas et Guy-Manuel se rencontrent au lycée et fondent, avec le futur guitariste de Phoenix, un groupe de rock qui ne connaitra pas un franc succès, se faisant même brocardé, par une certaine presse britannique, de « daft punky trash », en 1993.
Qu’à cela ne tienne ! La même année, et non sans beaucoup d’humour, le groupe Daft Punk voit le jour, à Paris. Se tournant plus vers la scène techno, Thomas et Guy-Manuel vont donner ses lettres de noblesse à cet « idiot de voyou », diffusant la French Touch dans le cœur et la tête de la jeunesse de l’époque, et surtout anglo-saxonne. C’est lors d’une de ces Rave Parties, qu’ils sont remarqués par Soma, label écossais spécialisé dans les musiques « de jeunes », et contribue à la diffusion telle une tâche d’huile du genre Daft Punk.
Explorant les possibilités de la musique électronique, Daft Punk sort enfin un maxi électro-rock, en 1995, Da Funk/Rollin’ and Scratchin’, qui connaitra son petit succès. Tout en gardant son côté indépendant, puisque Thomas crée en parallèle son propre label, le groupe attirera l’attention du label Virgin. La sortie de l’album Homework, deux ans plus tard, mêlant la house aux rythmes techno de la scène américaine, assoie cette popularité, rendant l’un de ces titres All around the world, presque prophétique, puisque l’album se vend à plus de deux millions d’exemplaires, dans trente-cinq pays, en Europe et en Amérique.
Un succès international
Tout en continuant l’exploration des possibilités de l’échantillonneur, puisque Daft Punk est dès lors connu comme référence pour ses mixages aléatoires, le groupe se lance dans une tournée internationale, à la durée toute aussi fantaisiste (certains concerts pouvaient durer jusqu’à cinq heures) ; tout en ouvrant la voie à toute une génération d’adeptes de la scène électro.
Chacun des membres de Daft Punk possédant son propre label, on aurait pu s’attendre à une scission mais ce serait oublier le goût de la provocation et du mystère de ses protagonistes. Thomas et Guy-Manuel se lancent d’ailleurs dans un nouveau projet, commençant à se produire sous forme « robotisante » (vous savez : les fabuleux casques !).
Poursuivant leur réflexion musicale qui aboutira à l’album Discovery, en 2001, le groupe ne se contente jamais de ses acquis, intégrant ici des rythmes disco à leur son électro-rock, et faisant une part plus belle aux vocalisations.
Et le film d’animation Interstellar 5555 ; the Story of the Secret Star System (sorti en 2003, à quelques mois d’intervalles au Japon, en France et en Belgique) serait plutôt une confirmation de leur renommée internationale. En effet, le studio Toei Animation a su allier le graphisme inimitable de Leiji Matsumoto (Albator) avec la musique envoûtante de l’album Discovery. Il nous offre ainsi une œuvre d’animation « muette », et pourtant plus parlante que beaucoup d’autres. Le film fut d’ailleurs présenté au festival de Cannes pour la « quinzaine des réalisateurs ».
Un virage dangereux ou un tournant décisif ?
Revisitant inlassablement ses propres pas pour cheminer vers de nouveaux horizons musicaux, Daft Punk continue à pousser son succès par delà les frontières. Les albums Alive 1997 (Live Birmingham 2001) et Daft Club (2003 – remixes de Homework & Discovery) en sont d’ailleurs la preuve, s’il en est.
Pourtant, la sortie de l’album Human After All en 2005, pourrait annoncer le début du déclin, certains lui reprochant de n’être qu’un énième remix des précédents opus. Cependant, il s’agit, encore et toujours, de l’aboutissement du questionnement incessant de Daft Punk sur son exploration du son, de la musique et… de l’humanité.
L’année suivante, le groupe produit d’ailleurs son premier film, Daft Punk Electroma, dans lequel ils incarnent des robots en quête de leur humanité justement. Et comme certains films expérimentaux des années 70, il sera diffusé uniquement le samedi, à Paris, au cinéma du Panthéon, durant un an. Il sera également présenté au festival de Cannes en 2006.
C’est ici plutôt l’annonce d’un futur qui se veut encore plus brillant que par le passé. En effet, en s’incarnant dans ces robots, Daft Punk renforce l’image qu’il se donne depuis des années. Le groupe nous offre un plus grand contraste encore entre le panégyrique criant de leur album (Humain avant tout !) et l’image de la déshumanisation inexorable que connaît notre société moderne. À nouveau, le public ne s’y trompera pas et ne désavouera pas ces fervents contestataires, notamment lors de la monumentale tournée que Daft Punk entame en 2007.
La consécration
On pourrait presque dire qu’avec l’âge vient la sagesse et, la nostalgie. Daft Punk pourrait ne pas y être insensible, quand ils décident de créer la bande originale du film Tron : L’Héritage, en 2010. On pourrait même les soupçonner d’un grand brin de nostalgie avec ce projet qui porte à nouveau à l’écran, l’une des histoires cultes de leur adolescence. De même, lorsqu’ils participent à la bande son du jeu vidéo Tron : Évolution.
Il n’en est rien, cependant, et la sortie de l’album éponyme de Tron :Legacy , avec la participation du Philharmonique de Londres, nous donne même la preuve qu’ayant atteint une certaine maturité, le groupe se tourne simplement vers un nouveau domaine d’exploration musicale.
Et l’album Random Access Memories (sorti en 2013) présente l’aboutissement, certainement provisoire, de cette réflexion en perpétuel mouvement de Thomas Ballanger et Guy-Manuel de Homen-Cristo. Associant non plus seulement des vocalisations synthétiques, mais de vraies voix, ajoutant même un rythme plus funky sur certains morceaux, Daft Punk fait un pied de nez à ceux qui les voulaient « enfermés » dans ce dernier virage pris avec Tron : Legacy, magnifique au demeurant.
C’est d’ailleurs avec ce dernier album, que le groupe remporte pas moins de cinq Grammy Award’s, en janvier 2014, atteignant un nouveau palier et, si certains en doutaient encore, la consécration, non plus seulement du public, mais aussi de tous leurs pairs.
Des rumeurs pour le futur
On pourrait penser qu’avec seulement cinq albums (principaux) et autant de tournées, étalés sur presque trois décennies, le succès de Daft Punk n’est qu’illusoire, simplement dû à des effets de mode sporadiques ou cycliques.
Pourtant, il n’en est rien (n’en déplaise aux cyniques) ! Cette pseudo-parcimonie est, bien entendu, volontaire. Tout comme l’aura de mystères dont s’entoure le groupe, subtilement entretenue par la farouche indépendance de ses membres. Ceci expliquerait même la longévité de Daft Punk, enfin partiellement.
Car nul doute que, si tenir en haleine un public déjà conquis n’est pas forcément un exercice facile, le constant renouvellement de leur musique garantit à Daft Punk la conquête des générations les plus contemporaines du moment. Et si je voulais tenir un discours réducteur, je qualifierai malgré tout de « plus grands DJ » de notre époque.
Des rumeurs parcourent le web depuis quelques mois au sujet d’une toute nouvelle tournée internationale et, qui sait, d’un nouvel album, prévue pour 2017. Alors ne boudez pas votre plaisir et venez rejoindre l’assemblée frémissante de leurs fans de tous âges (si ce n’est déjà le cas).
Cet article est une republication d’un article paru dans l’édition reliée n° 18 de Mag’zine, que vous :pouvez toujours aller le lire ici.