Le Seigneur des porcheries ; L’escalade de la bêtise…
Il y a bien longtemps que je ne vous avais pas causé littérature. Aussi, j’ai sélectionné pour vous une petite perle, à ne pas mettre entre toutes les mains : Le seigneur des porcheries de Tristan Egolf.
Ce roman est une pure fiction. Cependant, il sort un peu de la lignée de ce que je vous présente habituellement. Pourtant, il vaut largement le détour, si vous avez le ventre bien accroché. Il s’agit en fait d’une fresque sociale, présentée sous forme de biographie.
La biographie du « héros »

Le seigneur des porcheries, sous-titré « Le temps venu de tuer le veau gras et d’armer les justes », raconte l’histoire de John Kattenbrunner. De son enfance à son décès, ses seuls amis entreprennent de raconter la « vraie » vie de cet enfant de la Corn Belt, né dans la petite ville de Baker, du comté de Greene.
Fils du « héros » défunt de Baker, John est confronté dès sa plus tendre enfance à la médisance. Pourtant, John est un génie, qui réussit dans tout ce qu’il entreprend. Malgré cela, il est vu par ses professeurs et ses camarades, comme un être sale et renfrogné, voire violent, d’une bêtise crasse.
Cependant, sa réussite n’est pas totalement invisible. S’appuyant sur l’image négative que renvoie John et sur sa jeunesse, des sangsues nuisibles vont entreprendre de le spolier de tout ce qu’il a accompli.
S’en suit alors une escalade de violence, morale et physique, jusqu’à l’apothéose qui conduit John à la folie furieuse. Frustration, coups durs « naturels » ou provoqués par des malveillants, rien ne lui est épargné. Je vous mets au défi d’en supporter autant sans sombrer !
Malgré tout, ce sera une chance pour John qui sort enfin de l’atmosphère délétère de Baker. Certes, encore mineur, il sera « emprisonné ». Mais ce changement lui permet de se retrouver, de se « ressourcer » et, de mûrir sa vengeance. Car John est un taiseux extrêmement patient.
La forme de cette vengeance mettra Baker dans le nez de toute sa pourriture cachée. Et exposera au grand jour les plus bas instincts et la bêtise congénitale de ses habitants.
Pourquoi j’aime autant ce livre ?
Le seigneur des porcheries est une délectation de tous les instants. Ce roman ne cesse de stimuler vos neurones, par sa minutie, son humour noir. Il vous prend à la gorge et aux tripes.
Dès l’avant-propos, il vous met dans l’ambiance étouffante de cette petite ville de Baker. Si vous la visitiez, vous ne verriez qu’une petite ville de campagne, semi-industrialisée. Mais Tristan Egolf soulève la « jupe » de la bucolique, exposant des dessous fort peu affriolants, loin d’être ragoûtants.
La première partie pourrait vous rebuter, mais le contraste entre la réalité de John et la « réalité » vue par les autres est réellement fascinant. On ne peut s’empêcher de se sentir impliqué. Quant à la seconde partie de la vie de John, elle pourra vous faire grincer des dents, vous faire ricaner ou pleurer de rire. Mais, surtout, vous ne verrez jamais plus sous le même jour une certaine catégorie professionnelle.
J’ai d’ailleurs volontairement omis de vous présenter cette deuxième partie de la biographie de John Kattenbrunner, pour vous laisser le « plaisir » de plonger dans la fange de Baker. Un plaisir tout relatif, car il frôle l’hallucination. Et pourtant, il est tellement proche de la réalité qu’il vous fera douter qu’il s’agisse d’une simple fiction.
L’histoire se déroule dans le Midwest, mais à bien y réfléchir, elle pourrait aussi bien se passer dans l’une de nos « vertes » campagnes. Si, après la lecture de ce roman, vous n’avez pas ouvert un peu les yeux sur la bêtise humaine et l’étroitesse d’esprit, alors votre cas est désespéré !
La biographie de l’auteur

Je ne peux pas parler du Seigneur des Porcheries, sans évoquer son auteur, Tristan Egolf. Car sa vie est presque à l’image de son héros. Un jeune homme talentueux, parti bien trop tôt.
Tristan Egolf est né en Espagne, en 1971, mais est américain. Lorsque ses parents divorcent, il prend le nom de son beau-père, Gary Egolf. Il a vécu à Washington et dans le Kentucky, puis en Pennsylvanie où il fait son lycée. Il fait aussi un bref passage à l’université de Philadelphie, dont il s’inspirera dans ses romans. Ainsi que de ses visites d’été à son père, dans l’Indiana.
Il abandonne ses études très vite et signe un contrat avec un groupe punk. Mais l’écriture restant sa principale passion, il finit par démissionner et part en Europe. Il se consacre alors à son art, tout en vivant de sa guitare, jouant dans les cafés ou la rue. C’est à Paris, en 1995, qu’il fera la connaissance de Maria, fille de Patrick Mondiano. Celle-ci va introduire Tristan Egolf auprès de son père. L’illustre auteur l’encourage à poursuivre dans cette voie, lui prodiguant ses conseils.
Après un retour aux États-Unis, pour achever son histoire, Tristan présente Le Seigneur des Porcheries, à Patrick Mondiano, qui l’incite à le faire traduire. Sur sa recommandation, Gallimard accepte rapidement le livre, qui sera publié en 1998. Et après de nombreux rejets, il sera également pris, en Angleterre, par Picador et, par Grove en Amérique.
Suite à ce premier livre, publié en français à l’origine, Tristan Egolf écrira deux autres romans. « Jupons et Violons », (Skirt and the Fiddle, Grove Press 2002), est écrit dans un style très différent. Le troisième « Kornwolf » sera publié, à titre posthume, en 2006 (Gallimard, en 2009).
Tristan Egolf était musicien, écrivain et militant activiste. Cependant, il souffrait d’une grave dépression. Il a fini par se suicider, en 2005, laissant une fiancée et une fille.

En sa mémoire, sa sœur, l’actrice Gretchen Egolf, avait ouvert une page Facebook, où ses amis et ses fans pouvaient poster leurs souvenirs de Tristan.
Pour conclure
Le Seigneur des Porcheries est absolument à lire, mais il faut être déjà soi-même bien dans ses bottines et, avoir un minimum de maturité intellectuelle. Autrement dit, je le déconseille à de jeunes adolescents. D’ailleurs, le style, très dense, ne pourrait que les rebuter.
Le Seigneur des Porcheries pourrait même un jour être adapté, puisque l’auteur l’avait retranscrit en scénario. Même si le film (ou la série) ne serait sans doute pas accessible au moins de 16 ans, tant les relents de violence bestiale y sont puissants.
C’est un roman à la fois sombre et plein d’humour, un contraste saisissant qui vous fera réfléchir sur bien des sujets, mais surtout sur la bêtise humaine.
Cet article est une republication d’un article paru dans l’édition reliée n° 26-27 de Mag’zine, que vous pouvez toujours aller le lire ici.

